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Le blog de Roland - Algrange d'hier à aujourd'hui

Témoignage d'un mineur de fer d'Algrange - Claude LUBNAU

4 Juin 2016, 10:45am

Publié par R.S.

Claude et Erna LUBNAU en 2002

Claude et Erna LUBNAU en 2002

En 2000, Sandra LEBOURG devait présenter au bac l'option: Langue et Culture régionale. Pour cette option elle présenta un dossier dont le thème était: l'héritage des mines dans la vallée de la Fensch et pour cela, elle avait interrogé un ancien mineur: Claude LUBNAU dont voici l'interview...

Quel emploi aviez vous?

Lorsque j'ai commencé, j'ai fait un peu de tout: j'ai posé des voies, j'ai fait du roulage (comme accrocheur), et aussi du boisage. Comme j'avais fait un peu d'études secondaires, jusqu'en seconde et que j'étais bon en maths, je suis devenu aide-géomètre, puis géomètre. J'ai passé toute ma carrière à travailler au fond, excepté ma dernière année où je touchais mon salaire même si j'étais au chômage, suite à la fermeture de ma mine.

Le géomètre caricaturé par Lucien JANTZEN et Claude LUBNAU, garçon d'honneur
Le géomètre caricaturé par Lucien JANTZEN et Claude LUBNAU, garçon d'honneur

Le géomètre caricaturé par Lucien JANTZEN et Claude LUBNAU, garçon d'honneur

Dans quelle mine avez-vous travaillé?

Je travaillais à la mine d'Angevillers, mais le puits ne servait qu'à la descente du personnel, mais aussi à l'aérage. Il y avait deux concessions, celle de Tressange qui s'étendait jusqu'à Aumetz... Une des galeries sort à Volkrange, mais elle n'a été creusé qu'à la fin de l'exploitation. La vieille mine s'appelait Guillaume. Tous les prénoms (Guillaume, Armand, Louise) étaient les prénoms des enfants de la famille Röchling qui était les propriétaires.

La mine d'Angevillers avec la galerie Louise à gauche et l'ancien Wilhelm Stollen à droite

La mine d'Angevillers avec la galerie Louise à gauche et l'ancien Wilhelm Stollen à droite

Combien y avait-il de mineurs en moyenne dans l'exploitation dont vous dépendiez?

Après la seconde guerre mondiale, il y en avait 800, en comptant Algrange, Angevillers et Metzange. Après la modernisation , il y en eu moins.....

Pouvez-vous me raconter une journée dans cette mine?

En début de mois, le premier exactement, les géomètres faisaient ce qu'on appelle " des métrés " dans le chantier, on mesurait l'avancement. Les mineurs étaient payés à la tâche, on portait cet avancement sur les plans. On procédait aussi aux dépilages, c'est à dire à ce qu'on appelle " les reculages ". Au départ, on traçait la galerie et on laissait des pilliers de 3 mètres d'épaisseur qu'on faisait sauter après. Un jour, après le casse-croûte, j'étais avec un camarade et on se dépêchait pour la fin du poste. On courait dans la galerie et derrière nous, il y avait un vieux mineur qui criait, on s'est retourné et on a ralenti. Nous sommes arrivés au moment où les deux blocs s'effondraient. Nous avons eu tellement peurque l'on s'est mis dans un wagon et que l'on a pas pipé mots, jusqu'à ce qu'on arrive au jour.Nous avions un directeur assez folklorique qui s'appellait PAILLARD. Pendant les grèves, c'était le seul à faire cela, il descendait sur le carreau, se mettait à côté du délégué syndical et ordonnait à tous les mineurs de descendre au fond. A tel point qu'un jour, un journaliste nous a demandé " c'est lequel des deux le délégué? "

Quelles sont les manifestations qui vous ont le plus marqué?

La grève de septembre 1948, quand j'ai commencé à travailler, qui a duré trois semaines. Presque chaque année, il y en avait une! Celle de 1963, peu avant la fermeture des mines se passait à Paris.

Quels faits vous ont marqué?

L'esprit de camaraderie, de solidarité m'a le plus marqué. Le problème de langue et des immigrants ne posait pas de problème. En 1948, 8 personnes sur 10 parlaient l'allemand couramment. Les cadres qui venaient de l'intérieur de la France étaient génés car ils ne savaient pas parler l'allemand!

Comment était la ville à votre époque?

A Algrange, quand j'ai commencé à travailler, il n'y avait pas encore  le quartier Nord (aujourd'hui le quartier situé près du stade). Il n'y avait que les cités et le centre-ville, mais il y avait plus d'habitants que maintenant et plus de commerces!

Il y avait 3 cinémas: l'Odéon, l'Eden,le Majax (Sax) et un quatrième qui avait brûlé: le Victoria (cinéma du Parc). Ce cinéma était le premier de la région comme la piscine avec des bains municipaux qui existait déjà avant 1914 (ouverte en 1906). Elle se trouvait à l'emplacement de l'actuel socio-culturel Ambroise Croizat.  Algrange était très moderne! Alors tous les algrangeois de mon âge savent nager....

Au centre le bâtiment où se trouvait la piscine et les bains municipaux
Au centre le bâtiment où se trouvait la piscine et les bains municipaux

Au centre le bâtiment où se trouvait la piscine et les bains municipaux

Hormis la Sainte-Barbe, quelles étaient les fêtes principales à Algrange?

A Algrange, la fête de la Saint Jean était la fête de la commune. La Saint Jean étant le 24 juin, la fête avait lieu en général le dimanche suivant. Il y avait aussi la fête foraine, à une certaine époque il y avait 12 manèges sur la place du marché et sur la place de l'ancienne Poste. Il y avait aussi des défilés de carnavals grandioses... 

La place était pleine de manège en ce temps là...

La place était pleine de manège en ce temps là...

Combien de temps passiez-vous en moyenne par jour à la mine?

On avait besoin de minerai. Ceux qui n'étaient pas à l'abattage faisaient des heures supplémentaires et même parfois des doubles postes. On travaillait en moyenne huit heures au fond. Le temps était néanmoins imparti pour le trajet. Jusqu'à Tressange, pour arriver sur place, il fallait 3/4 heure.

A quel âge êtes-vous descendu pour la première fois?

Je suis descendu pour la première fois à l'âge de seize ans et demi. Je n'avais pas été au centre d'apprentissage des mines. Si j'étais impressionné? Oui un peu, mais il ne faut pas être claustrophobe

Pendant combien de temps avez-vous travaillé?

J'ai travaillé 31 ans au fond et un an au chômage, lors de la fermeture de la mine. Ma carrière ne s'est pas terminée comme géomètre car on ne faisait plus de traçage mais comme porion, pendant les dix dernières années. Ce que je n'aimais pas, c'était le fait de pousser les gens au travail car le porion était responsable de la production. On nous faisait aussi des conférences de sécurité, mais après celles-ci on nous disait qu'on devait prendre des " risques calculés "

Avez-vous souvenir d'accidents qui ont eu lieu durant votre carrière?

Oui, car le géomètre devait faire un relevé de l'accident: on devait noter sur le plan le nombre de bois qui s'étaient effrondrés ainsi que le nombre de blocs tombés. Cela servait à l'ingénieur des mines pour établir un procès-verbal. De ce même fait, j'étais tenu au secret, comme les gendarmes! J'ai même assisté à un accident: on alignait le centre de la galerie, un mineur purgeait le plafond avec une sonde. Il avait un copain qui se trouvait à côté de lui et qui était mal placé. Ce dernier s'est fait écraser et il a été tué sur le coup. C'est dur à vivre et ce qui m'a le plus impressionné c'était le cri de ce mineur qui purgeait. Il hurlait comme une bête car il était tellement choqué et de ce fait n'a pas repris le travail durant 3 ou 4 semaines...

Y avait-il des secouristes?

Dans les 20 dernières années, il y avait une équipe qui était formée et qui disposait de bonbonnes d'oxygène. Tous les porions avaient un brevet de secouriste. J'ai connu deux cas d'accidents et cela m'a servi pour faire les premiers pansements.

On a parlé de " Texas français " pour désigner le bassin sidérurgique et la Lorraine! Est-ce que ce surnom s'applique aussi à la vallée de la Fensch?

A une époque, il y avait 35000 mineurs dans le bassin sidérurgique lorrain pour produire assez de minerai. Au départ, il y avait beaucoup d'allemands d'où le surnom de " petit Berlin " En 1912, à Algrange il y avait près de 12000 habitants, il y avait aussi des Italiens, des Polonais. Mon père est venu de Pologne en 1916, il parlait le polonais et le russe parce qu'à cette époque la Pologne était russe, mais il parlait aussi l'allemand car il était originaire d'Allemagne...

Que pensez-vous de l'édification d'une future stèle à la mémoire des mineurs? Où la verriez-vous?

Je ne suis pas pour! Je trouve que l'on a beaucoup dépensé de sous pour la fresque qu'on va d'ailleurs devoir repeindre. J'ai peur qu'on esquinte la stèle comme on a tagé la fresque. De toute façon, je ne sais pas où l'on pourrait la placer car où qu'on la mette, même si on peut avoir continuellement un oeil sur elle, elle sera abîmée.

Et pourtant il était fier d'être sur la photo lors de la pose de la stèle (tout à gauche)

Et pourtant il était fier d'être sur la photo lors de la pose de la stèle (tout à gauche)

Comment fêtez-vous la Sainte-Barbe aujourd'hui dans cette cité?

La fête traditionnelle est identique à celle que l'on raconte. Aujourd'hui, Algrange est la seule localité où l'on fait encore la fête d'une manière traditionnelle avec des tirs de mine, un défilé, une messe et où on mange les fameuses knacks.

M & Me LUBNAU à côté du porte drapeau
M & Me LUBNAU à côté du porte drapeau
M & Me LUBNAU à côté du porte drapeau

M & Me LUBNAU à côté du porte drapeau

Le logement du mineur était gratuit! Etait-ce le seul avantage en nature?

Le logement était gratuit, mais il l'est encore aujourd'hui pour les maisons appartenant à la mine qui sont occupés par d'anciens mineurs ou leurs veuves. Les maisons ont été vendues à des sociétés qui n'ont pas le droit d'expulser les mineurs ou leurs veuves. L'eau était aussi gratuite dans les cités, des compteurs ont été installés à la fermeture des mines. J'ai encore une anecdote à vous raconter. Je faisais partie de la commission au logement et un jour, le patron me posa une question sur ma consommation d'eau car comme j'avais construit une maison, je payais mon eau. Je réponds un chiffre et le directeur me dit alors: " les gens des cités consomment 7 fois plus d'eau que vous! "

Comment avez-vous vécu l'après mine?

Je l'ai bien vécu, j'étais occupé avec ma maison, le jardin, le bois. Mais la fermeture des mines a été faite subitement. Il est vrai que je suis parti en fureur. En effet, les patrons ne prenaient pas de gants. Je devais aller travailler à Piennes, au jour, avec une rétrocession sur mon salaire pour me faire comprendre que je devais arrêter!

Si on devait faire un parrallèle entre cette époque et aujourd'hui, quelles différences voyez-vous pour cette vallée de la Fensch?

Ayant vécu les deux époques, je ne voudrais plus être jeune, car avant, pour avoir du boulot, il suffisait de n'être pas un feignant. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, même si on a plein de diplômes, c'est ca la chose la plus regrettable. Une chose entrainant l'autre, cela explique la violence, les dégradations....Les jeunes n'ont plus d'occupations

Pensez-vous qu'un devoir de mémoire était nécessaire?

Oui, il fallait le faire! Vous savez si on avait voulu faire ce qu'on a fait à Neufchef dans la mine d'Angevillers, cela aurait été difficile. Il n'y a pas de chantier près de l'entrée comme à Neufchef. Le problème, c'est que pour trouver le bon endroit, il fallait faire 1,8km à pied dans les galeries pour éviter de monter les plans inclinés, à moins d'installer un train, mais il aurait fallu remettre en état les voies et les galeries.

Témoignage d'un mineur de fer d'Algrange - Claude LUBNAU
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