Il y a des moments dans la vie qui sont parfois durs à oublier, mais c'est encore plus dur si l'histoire les oublient. C'est un peu le cas pour 7 soldats, qui furent fusillés ou exécutés le 17 juin 1940 à Sainte Suzanne par l'envahisseur allemand....
Il s'agissait de:
- M. FARCY Lucien Ernest né le 12 août 1909 à Paris 17ème (75)
- M. KLING Antoine né le 13 juin 1908 à Algrange (57)
- M. MARTINY Victor né le 19 juin 1900 à Kédange-sur-Canner (57)
- M. MICHELY Lucien Louis né le 30 novembre 1909 à Algrange (57)
- M. THOUVENIN Georges Paul né le 26 juillet 1906) à Mandres-aux-Quatre-Tours (54)
- M. TRACHTEREV Alexandre né le 20 novembre 1909 à Petrograd (Russie)
- M. WEBER Pierre né le 1er juillet 1897 à Freyming-Merlebach (57)
Deux sont nés à Algrange: M. MICHELY et M. KLING mais seul M. KLING habitait Algrange
Deux sont nés à Algrange: M. MICHELY et M. KLING mais seul M. KLING habitait Algrange....
Voici tirée d'une revue de 1980 de Roger Bruge " Juin 1940, le mois maudit ", l'histoire de ces fusillés:
Sainte-Suzanne est situé dans le faubourg sud-ouest de Montbéliard que le 61e régiment régional d'artillerie de Thionville a reçu pour mission de défendre. Cette unité de recrutement mosellan est composée d'hommes d'un certain âge qui, durant la " drôle de guerre " ont gardé les endroits qualifiés de stratégiques entre Metz et Thionville: carrefours, ponts et voies ferrées. Après 4 jours de train, ils se retrouvent à Montbéliard avec 4 mitrailleuses Saint Etienne et quelques FM.
A moins de 50 m du " café Georges " (du nom du patron, Georges SIMONIN) le lieutenant André GUERIN, de Saint-Mandé, a reçu l'ordre " d'élever une barricade et d'arrêter l'ennemi par le feu ". Avec des troncs récupérés dans un parc, l'officier fait donc dresser un barrage à l'efficacité duquel personne ne croit vraiment. L'après-midi de ce lundi 17 juin a été plutôt calme mais, vers 20h, des réfugiés refluent vers Montbéliard et prétendent que les Allemands arrivent. GUERIN hausse les épaules. De toute façon, il est couvert par l'adjudant FISCHER qu'il a envoyé avec une dizaine d'hommes à 400 m de là, en poste avancé. Et tant que FISCHER ne tire pas.... A 20h30 GUERIN envoie les hommes à la soupe, qui se préparait dans une grange située à 100 m en avant du barrage.
Un quart d'heure plus tard, un adjudant essoufflé arrive après avoir couru à toutes jambes. C'est FISCHER: " les boches .... " dit-il en cherchant ses mots, " les boches sont derrière moi ".
Dans un étonnant fracas de moteurs et de grincements de chenilles le lieutenant GUERIN voit s'approcher des motocyclistes et des chars. Comment pourrait-il deviner qu'il a en face de lui un groupement de la 1ère Panzerdivision. Au " café Georges ", au même instant, les couverts sont mis et l'on commence à servir le dîner.
Quatre hommes du 61e RR ont d'ailleurs préféré la cuisine de Mme SIMONIN à celle de leur " roulante ". Ce sont Lucien GRETHEN et Lucien MICHELY, deux lorrains, Roger FERNET, de Crépy-en-Valois et Alexandre TRACHTEREV de Paris.
" Nous avons entendu un coup de feu qui nous a fait sursauter, avouera M. GRETHEN et, par la fenêtre ouverte, nous avons aperçu des véhicules et des chars allemands arrêtés devant le barrage "
L'engagement est bref car si les soldats du 61e RR tirent au fusil mitrailleur, ils ne sont pas longs à mettre bas les armes ou à s'échapper vers les coteaux lorsque les canons de tourelle des panzers commencent à riposter. N'ayant pas leurs armes, les 4 dîneurs du " café Georges " ont d'abord fait comme tout le monde, c'est à dire choisi de se réfugier à la cave puis, celle-ci n'abritant que des femmes et des enfants, ils ont pensé à d'éventuelles représailles.
" Alors on va se rendre? " a demandé TRACHETEREV. Ils remontent l'escalier, ouvrent la porte et lèvent les bras, en se joignant à d'autres prisonniers. Un Allemand qui semble passablement excité s'écrie " Les voilà ces cochons ! On va les coller contre le mur et les fusillés! ". Originaire de Thionville, GRETHEN comprend l'allemand et il adresse un demi-sourire à son camarade MICHELY pour lui faire savoir qu'il ne convient pas de prendre les menaces de l'énergumène au sérieux. Il a tort !
" Les deux premiers de notre groupe sont foudroyés à bout portant, au pistolet, par le boche qui avait parlé de nous fusiller, raconte GRETHEN. D'instinct, je me suis laissé tomber en pivotant sur moi-même tandis que les balles sifflaient autour de nous. Je suis resté allongé sans bouger, la face contre le sol, dans l'attente du départ de ces brutes. J'ai passé là un moment inimaginable et impossible à décrire ".
Mais GRETHEN va se trahir. Tout son corps aura un sursaut lorsqu'un Allemand dira d'une voix paisible: " Allez on repart et on passe sur eux avec les chars ! ". Le soldat français a été repéré et un homme de la 1ère Panzerdivision l'empoigne par les cheveux pour le faire lever. Alors GRETHEN joue le tout pour le tout: il plaide sa cause en allemand, il parle, il parle, il ne sait pas exactement ce qu'il dit, mais ce qu'il sait avec une absolue certitude, c'est que sa vie tient à un fil. Les minutes ont passé, longues, si longues. Et GRETHEN a finalement gagné. On l'a hissé avec forces bourrades dans un camion et il a rejoint un autre groupe de prisonniers. Derrière lui, les corps sans vie de 7 soldats français baignaient dans leur sang. La nuit tombait sur Sainte-Suzanne et personne ne s'en préoccupait. C'était la guerre.
" Seul avec moi, PERNET s'en est tiré, dira plus tard GRETHEN. Il n'est pas sorti du café et a pu fuir par derrière. Il a retrouvé le capitaine GOUYON, les lieutenants GUERIN et RIGAL et ils se sont tous dirigés vers la Suisse ".
M. TISSERAND, maire de Sainte-Suzanne, s'efforcera d'identifier les fusillés et remettra tous les objets personnels trouvés sur eux au lieutenant BLANCHARD, de l'ambulance chirurgicale 414 stationnée à Montbéliard. Les habitants du quartier donneront des draps pour que les malheureux fussent décemment inhumés et leur liste définitive sera établie début juillet:
- Sergent Lucien FARCY, de Groslay (Val d'Oise)
- Lucien MICHELY, de Thionville (Moselle)
- Antoine KLING, d'Algrange (Moselle)
- Victor MARTINY, de Freistroff (Moselle)
- Georges THOUVENIN, de Domèvre-en Haye (Meurthe et Moselle
- Pierre WEBER, de Sainte-Marie-aux-Chênes (Moselle)
- Alexandre TRACHTEREV, de Paris
Après la guerre, le 15 juin 1947, une plaque discrète sera apposée sur la façade du " café Georges ", rappelant la tragédie qui s'était déroulée à cet endroit sept ans plus tôt.
" Depuis, écrit M. Gilbert TISSERAND, maire de Sainte-Suzanne (et fils de l'ancien maire), la plaque a été déposée à côté du monument aux morts. Elle porte l'inscription: " Ici furent fusillés le 17 juin 1940, victimes de la barbarie allemande, des soldats français coupables d'avoir défendu la France ".
Sa dernière lettre datant du 11 juin 1940 est particulièrement émouvante, et témoigne du père et mari affectueux et tendre qu’il était. Il écrivait à sa femme, qu’il était bien rentré en vélo malgré la chaleur excessive, et que l’essentiel était de les avoir revus. Il était triste qu’il ne puisse pas fêter leurs anniversaires respectifs ensemble. Il invoque la protection de Dieu, afin qu’ils soient protégés. Il répugne ce triste monde qui marche sur la tête et se demande où cela va nous conduire et espère que tout finira bien, et qu’ils vivront à nouveau heureux la famille réunie
Sa dernière lettre écrite le 11 juin 1940 à sa femme
La vie d'Antoine KLING:
Il est né le 13 juin 1908 à Algrange. Il épouse Anne BIEHL, née le 15 juin 1909, en l’église saint-Jean-Baptiste d’Algrange le 12 mai 1932.
Son premier métier était wattman, il conduisait les tramways le long de la vallée de la Fensch de Algrange à Thionville. Son travail qui l’attendait au retour de la guerre était régisseur dans une ferme à Florange. Ses trois enfants et sa femme ont été obligés de quitter la ferme, pour retourner s’installer dans un deux pièces cuisine de la rue de la gare à Algrange avec Elisabeth BIEHL, leur grand-mère. Anne KLING, son épouse est partie travailler à l’usine SMK d’Algrange-Nilvange.
C’est Mme Eléonore LUBNAU née KLING (86 ans), l’aînée des trois enfants d’Antoine KLING, qui reste témoin de cette tragédie. Elle avait 8 ans quand elle a appris sa mort peu de temps après. Sa sœur Odile, et son frère Antoine tous deux décédés ne sont plus là pour témoigner. Comme elle, ils diraient que c’était un père et un mari très aimant et aimé, qui confectionnait de jouets en bois (armoire d’épicière…), et à qui leur a beaucoup manqué. Anne KLING, son épouse, se remariera avec M. Marc BECKER en 1954. Elle aura de cette union une fille Marthe.
A ce jour, il est grand-père de 8 enfants, arrière-grand-père de 9 enfants et arrière-arrière grand- père de 3 enfants……
1ère photo: La famille KLING. En 2ème photo Eléonore Kling, et son petit-fils Bastien, féru d’histoire
En 2014, sa petite-fille Anne LUBNAU-WIMEZ, domicilié à Bordeaux a remué les consciences et l'U.N.C. à l'occasion du 70ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. Et le 21 octobre de la même année, des membres de l'Union Nationale des Combattants de la section d'Algrange accompagnés par des porte-drapeaux de l'association Mémoire Lorraine lui ont rendu hommage sur sa tombe à Algrange......
Cette année nous fêtons le 75ème anniversaire de la fin de cette guerre et celle d'Algrange libérée le 11 septembre 1944.....