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Le blog de Roland - Algrange d'hier à aujourd'hui

Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY

4 Août 2016, 07:30am

Publié par R.S.

Souvenirs d'Algrange par Paul FREY, maire de 1910 à 1918, tiré du livre " Algringen zum Gedächtnis "
     Quand en décembre 1909, le sous-secrétaire d’état MANDEL, m’a demandé, sur incitation du Président de la région lorraine, le Comte ZEPPELIN-ASCHAUSEN, si j’étais prêt à prendre la place de maire devenue vacante, dans la commune industrielle en plein essor d'Algrange, je n’hésitais pas longtemps pour répondre favorablement.

     Algrange, m’était connu par l’exercice de mes charges que j’avais pratiqué à Metz et à Thionville, et où j’avais encore beaucoup d’amis et de connaissances, sur lesquels je devais pouvoir compter. Mais avant tout, j’étais excité par la tâche qui m’attendait. Relancer l’essor d’Algrange qui était presque nul ces dernières années. Après ma nomination officielle de maire (le 19 janvier 1910), je pris mes fonctions le 1er février 1910 introduit dans les affaires par le Sous-préfet CORDEMANN. (Dans le Courrier de Metz daté du 9 février 1910 on peut lire: M. FREY, autrefois secrétaire d'arrondissement à Thionville, a pris possession de son poste comme maire. On se rappelle que lors de l'élection, M. FREY n'avait obtenu que 6 voix contre 11 données à son concurrent. Toutefois le gouvernement n'a pas jugé nécessaire de se ranger à l'avis de la majorité du Conseil Municipal; dans ce cas, il était absolument inutile de le consulter.)

Article du Courrier de Metz daté du 9 février 1910

Article du Courrier de Metz daté du 9 février 1910

Au début, j’eus quelques problèmes avec le Conseil municipal, dont la majorité était du centre et la minorité libérale. Mais au bout de quelques mois une fructueuse collaboration était atteinte. La première tâche, la plus urgente, fut l’élargissement de la rue principale où il y avait beaucoup de circulation, au-dessus de l’actuelle place du marché. Cette amélioration pressante ne pouvait se faire que par l’élimination de 4 vieilles maisons du coté ouest de la rue (vieille école, et les maisons KAUFFMANN, FENTSCH et GILLE) La demande étudiée préalablement par la commission des finances et des constructions a été adoptée par le Conseil municipal à l’unanimité. Il y avait aussi obligation de détruire la ferme des héritiers GUISSARD, située sous les maisons à éliminer, ceci pour des raisons d’esthétique de la localité. De ce fait on créa entre la grande rue et la rue Saint Jean, suffisamment de place pour une place du marché. Pour ces motifs, on décida de l’achat, puis de la destruction de tout ce groupe de maisons. Le coût total de ces travaux (y compris le prix d’achat des maisons) s’éleva à 90.000 Marks, mais pour Algrange et son urbanisme il représentait un gain inestimable et une amélioration très importante des facilités de circulation, que l’on a pu mesurer pleinement, à la pose des rails de la ligne du tramway électrique Thionville-Algrange.  

Le maire Paul FREY et les maisons détruites pour le passage du tramway
Le maire Paul FREY et les maisons détruites pour le passage du tramway

Le maire Paul FREY et les maisons détruites pour le passage du tramway

 A cette occasion, il faut remarquer que cette ligne de tramway, était à l’origine, une ligne prévue et financée seulement comme ligne de la Vallée de la Fensch, partant de Thionville par Hayange vers Fontoy. Ce n’est que grâce à l’intervention du Député et ami ZIMMER de Thionville, qui a pu faire modifier le plan de construction et obtenir les crédits d’Etat pour la ligne secondaire Knutange-Algrange, dont la construction a pu se faire en même temps que la ligne de la Vallée de la Fensch. Après la mise en service, il s’avéra que la ligne Thionville-Algrange était de loin la plus fréquentée. Elle devint donc ligne principale, alors que sur la ligne Knutange-Fontoy, on instaura une circulation alternée.  

Inauguration du tramway en 1912

Inauguration du tramway en 1912

       Dans les plans de la régulation routière et des modifications de constructions, il se fit de plus en plus sentir que les possibilités de développement de la localité vers les deux cotés, ont fait ressortir le manque d’un plan de construction planifié. Il fallut absolument empêcher la construction de maisons non-planifiées qui pourrait plus tard, lors de la construction de nouvelles rues, être des obstacles. En reconnaissant la nécessité et l’urgence, le Conseil municipal décida la mise en place d’un grand plan de construction et engagea un géomètre-expert d’Aix-la-Chapelle pour l’exécution du plan. Ce plan réalisé d’après les directions de l’administration municipale a reçu l’accord du Conseil municipal et peu après celui du Préfet, le Baron Von GEMMINGEN, qui portait un intérêt particulier au développement d’Algrange.

     A la suite du plan de construction, j’ai donc, émis une ordonnance sur les plans de construction de l’inspecteur des constructions KLEIN de Metz, concernant Algrange avec l’accord du Conseil municipal après que l’autorité suprême du Gouverneur impérial a fait paraître le décret du 29 juillet 1912 étendant les instructions sur les limites de la liberté de construire, valable pour Strasbourg, à la commune d’Algrange.

       Ainsi étaient posées les bases pour la planification des constructions et du développement de la commune en plein essor. Dès le début de la guerre mondiale, de nouvelles rues et de beaux bâtiments furent réalisés. Je me souviens de la rue de Lorraine avec la nouvelle poste construite par l’entrepreneur M. REGNERI et la rue Wilson (ex : Hohenzollerstrasse) et aux constructions de la nouvelle école technique supérieure et de l’école des filles, mais qui à cause de la guerre n’ont pu être menées à leurs termes. De plus, je veux me souvenir de la canalisation et de la couverture du ruisseau d’Algrange, réalisée avec les moyens de l’administration des constructions. Ainsi, un inconvénient, ressenti depuis quelques années, était éliminé, mais on a gagné ainsi du terrain à bâtir et la possibilité de tracer de nouvelles rues.

Le ruisseau qui passait au carrefour de la rue de Lorraine et de la rue Jean Burger

Le ruisseau qui passait au carrefour de la rue de Lorraine et de la rue Jean Burger

Enfin, il faut penser aux grands travaux d’agrandissement de l’hôpital des mines, propriété des sociétés industrielles, dont les installations exemplaires et modernes sont dues au médecin-chef le Dr Georges VOELKEL décédé en 1910 et à son successeur le Dr Kurt BARTHOLDY. Ces travaux là, ont aussi dû être interrompus au début de la guerre.

L'hôpital à ses débuts...

L'hôpital à ses débuts...

      Depuis le meurtre du couple héritier du trône autrichien à Sarajevo (le 28 juin 1914), et après le rejet des exigences autrichiennes par la Serbie, la situation politique extérieure était extrêmement tendue. Malgré cela, personne ne voulait croire sérieusement à la guerre. Alors, arriva le 31 juillet 1914, un télégramme du Ministère de Strasbourg déclarant " la situation extrême de danger de guerre " et dès le lendemain, 1er août, à 4 heures de l’après-midi, je reçus l’ordre de mobilisation avec ces mots lourds de conséquences: " La mobilisation est ordonnée ! ". Le 2 août fut le premier jour de mobilisation, la guerre mondiale avait débuté.

Assassinat à Sarajevo

Assassinat à Sarajevo

 A peine 2 heures après le début de l’ordre de mobilisation, arrivèrent les émissaires de la Sous-préfecture, avec les ordonnances écrites et les affiches. Dès dimanche 2 août, les troupes de protection des frontières arrivèrent en colonnes nombreuses, pour se déployer sur le Stüzenberge et le plateau d’Angevillers-Aumetz. Bientôt eurent lieu les premiers combats avec l’avant-garde française qui voulait empêcher notre avance, à l’intérieur de la France. Ces combats eurent lieu de l’autre coté de la frontière, vers les localités d’Audun le Roman, Sérouville, Filières et Spincourt. L’énorme forteresse de Verdun donnait aux troupes françaises un fort soutien dans le dos et aux flancs. Mais il n’y eut pas d’arrêt pour nos vaillantes troupes, l’avance continuait impétueusement.  
          Les combats qui eurent lieu à proximité, se firent remarquer à Algrange les bruits forts des canons et les rafales de mitrailleuses, et bientôt arrivèrent aussi les premiers blessés graves à l’hôpital des mines d’Algrange. Le 1er fut le lieutenant des Hussards Hellwig SOLTAU d’Hanovre qui devait rapidement succomber à ses graves blessures. Le vaillant officier fut enterré au cimetière protestant d’Algrange accompagné par de nombreux habitants et le Conseil municipal. Le pasteur protestant M. HANSTEIN a tenu l’oraison funèbre de circonstance, alors que le bruit du canon s’entendait à l’Ouest. Combien de fois encore avons nous dû prendre le dur chemin du cimetière pour rendre aux héros morts un dernier hommage ? En ce qui concerne d’autres conséquences de la guerre à Algrange, je puis dire simplement que les événements nous sont encore tous à l’esprit.
Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY
Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY
        La situation géographique d’Algrange, près de la frontière et dans la zone de guerre, a fait que la localité qui comptait 11500 habitants à la déclaration de guerre, comptait lors du déploiement des troupes jusqu’à 5000 hommes de plus en garnison. De même cela explique que nous étions soumis particulièrement aux bombardements aériens. Il n’y eut presque pas de jour ou de nuit, sans que des avions ennemis ne viennent jeter des bombes à proximité. Les cibles principales furent les installations du chemin de fer, le viaduc de Knutange et surtout l’usine La Paix avec ses 9 hauts-fourneaux et sa grande aciérie. L’usine a été touchée par 503 bombes pendant cette guerre, qui heureusement n’ont fait aucune victime et causer peu de dégâts aux installations. Par contre, lors d’une attaque aérienne sur les installations du chemin de fer vers la gare d’Algrange, 4 braves ouvriers de Neufchef ont été tués par des éclats d’obus.
         Je voudrais aussi citer le bombardement qui eut lieu un dimanche matin et où la conduite principale d’eau a été brisée dans la rue du Kemmel (Bergstrasse), près du presbytère catholique par une bombe, ce qui a transformé les routes du quartier en torrents d’eau et de boue. Lors d’autres attaques, le jeune mineur KNEIPP de la cité de la Burbach eut le pied arraché par une bombe qui n’avait pas éclaté, une autre de ces bombes non éclatée brisa le tout nouveau four à pain du boulanger Henri BALKE, il lui avait coûté 10.000 marks. Mais les petits dommages causés par les éclats d’obus sur les toits étaient innombrables.
Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY
Nous partagions aussi entièrement toutes les privations et les besoins avec les millions de nos concitoyens de tout l’empire et nous les supportions volontiers avec l’espoir optimiste de la victoire de notre armée sans égale. Ainsi la fatalité arriva en novembre 1918. Le 9 novembre la révolte, préparée de longue date, éclata. Brusquement ce sont les conseils de soldats et d’ouvriers, de sinistre mémoire, qui gouvernèrent. Les événements se précipitèrent. La guerre était perdue. Dès le 11 novembre arriva l’Armistice avec ses conditions humiliantes et décourageantes.
Les glorieuses troupes allemandes retirées de France et de la Belgique passaient le Rhin et nous étions livrés au vainqueur, sans défense, à bon gré. Dès le 19 novembre, des troupes françaises arrivèrent à Algrange et occupèrent la mairie. Bien que l’Alsace-Lorraine fasse encore, légalement et selon les lois internationales, partie de l’empire, la France considérait ce pays, dès l’Armistice, comme territoire français et y installa l’administration française. Sous la pression des conditions de la politique de force, j’ai démissionné de mes fonctions le 22 novembre 1918.
Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY
Bientôt démarrèrent les expulsions et les mesures d’éloignement, sur la base de listes établies par: " La commission de triage ". Le nombre d’expulsés d’Algrangeois devait dépasser les 2000 à la fin 1920. Des centaines d’autres s’étaient sauvés par des sentiers détournés pour échapper à ces mesures qui les menaçaient. Avec la clause de rétrocession de l’Alsace-Lorraine à la France, l’empire a perdu un territoire riche en minerai, charbon, beautés naturelles et de culture, ayant une population parlant allemand à 91%. Nous, les chassés, avons perdu une patrie aimée avec laquelle nous étions reliés par le sang, la langue et l’histoire. Il ne nous est resté que le souvenir du temps passé que nous avons pu vivre et rendu heureux. Ce souvenir est le seul paradis d’où nous ne pouvons être chassés.
  Je ne voudrais pas terminer cette rétrospective historique, sans penser brièvement au temps présent. Nous sommes après des années de honte et d’avilissement, redevenus un peuple heureux et uni, qui en accomplissement des rêves que tout bon allemand a vu, avec le retour de l’Autriche, la constitution d’une puissante Grande Allemagne.
Souvenirs d'Algrange de 1910 à 1918, par le maire Paul FREY
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