Article du Républicain Lorrain du janvier 1963
Alors que les trompettes de l'Armistice venaient de sonner, on enterrait 25 mineurs de Rochonvillers, victimes du plus grand éboulement jamais enregistré dans la région...
Il y a 44 ans, Algrange connut la plus grande catastrophe des mines de fer jamais encore enregistrée dans notre région. 25 mineurs de la mine de Rochonvillers, le 3 janvier 1919, mouraient à plusieurs centaines de mètres sous terre, à la suite d'un éboulement sur plus de 250 000 mètres carrés de galeries et de quartiers divers. Contrairement à ce qu'on pouvait imaginer, ce n'était pas le plafond qui s'est effondré, mais le sol qui s'est soulevé. Par endroits, le minerai fut écrasé en une poudre impalpable. Le 31 janvier 1919, les sauveteurs ont retiré le dernier mineur et, le 3 février, 25 tombes fraîches s'alignaient au cimetière communal à côté d'autres, celles de soldats tombés à la fin de l'année 1918.
Après l'Armistice de 1918, pour beaucoup, c'était à nouveau le premier Noël qu'on allait passer en famille, après les dures épreuves de la première guerre mondiale. Il restait beaucoup de plaies ouvertes et d'autres à panser dans la cité des Quatre-Mines.
Aux environs de midi, ce premier vendredi de l'année 1919, comme une traînée de poudre, une nouvelle catastrophique se répercuta à Algrange et dans les cités environnantes. La mine de Rochonvillers aurait été touchée par un éboulement, faisant de nombreux morts. C'était en fait une catastrophe comme il ne s'en est encore jamais produite dans aucune mine de fer de Lorraine jusqu'à ce jour.
Franz RIVA était un des mineurs rescapés qui avaient attendu les secours pendant quatre jours, dans la galerie effondrée. Il avait été sauvé de la mort par une berline qui s'était renversée sur lui et l'avait ainsi protégé des éboulements. Il fut tiré de là par le porion WAGNER, le 6 janvier 1919. Il ne voulu plus travaillé au fond et malheureusement en juillet 1929, il trouva la mort sur le carreau de cette mine, enseveli par une tranchée lors de la réalisation des fondations du nouveau magasin.
Les rescapés racontent.
Le bruit de cette nouvelle fut, hélas! une bien triste réalité. Les quelques rescapés de cette catastrophe, et dont quatre ou cinq sont seulement encore en vie aujourd'hui et que nous avons rencontrés, nous racontent....
Mathias KOCH, né le 29 mars 1893 à Algrange, demeurant 3, rue de Londres à Algrange:
" J'étais, à cette époque, ajusteur-mécanicien de la mine de Rochonvillers. J'avais alors 26 ans, le jour où se produisit l'éboulement. Comme à l'accoutumée, j'avais emprunté le petit train et me rendais en compagnie d'un aide ajusteur jusqu'au quartier, pour procéder à la réparation de diverses pannes survenues au service de roulage. Et tandis-que je boulonnais une pièce métallique, je sentis tout-à-coup, une violente déflagration me coller contre la galerie. Toutes les lumières avaient été soufflées. Ne sachant pas très bien ce qui venait de se produire, j'ai entendu tout à coup la voix de mon porion qui appelait: " Matz...Matz..., me demandant si je n'étais pas blessé " Pour ma part, j'en fus quitte pour la peur. Lorsque j'ai regardé autour de moi, j'ai vu comment les sapins de soutènement " les chandelles ", avaient volé à plusieurs centaines de mètres de leur point d'origine. Certains étaient déchiquetés comme des allumettes; des placages tombaient, se détachaient à chaque instant du plafond des galeries, si bien que nous n'osions plus faire un seul pas. Après que la poussière fut reposée, que tout était redevenu calme, étrangement calme, j'ai entendu les gémissements de l'un de mes camarades, mon ami KUCKWICH. Celui-ci, nous avons réussi à le sauver grâce au courage de Lucas SEREZ, un autre mineur, habitant alors à Beuvange sous Saint-Michel. KUCKWICH avait eu le pied déchiqueté par la déflagration. C'était une vision apocalyptique; dans notre précipitation, dans notre stupeur mêlée d'angoisse, nous avions accroché le pied de notre camarade KUCKWICH qui s'était littéralement détaché du dernier lambeau de chair, sans même que nous nous en apercevions. KUCKWICH n'avait pas dit mot; il ne voulait qu'une chose, sortir le plus vite de la mine, retrouver le ciel et l'air pur. Au fur et à mesure que nous parcourions les galeries, rendues méconnaissables par la pression d'air, nous rencontrions les voies collées au plafond et le minerai réduit en poussière. Lorsque la mine de Rochonvillers est à nouveau entrée en service, des mois entiers, on n'eut plus besoin de tirer à l'explosif, le minerai se faisait tout seul, les mineurs n'ayant besoin que de charger les berlines..."
Un univers de morts.
" Les sauvetages avaient duré plus de quatre semaines, le dernier corps fut remonté à la surface après 6 semaines seulement. De nombreux mineurs sont morts de faim; certains avaient rongé leurs chaussures, d'autres littéralement déshydratés, avaient perdu la voix et ne pouvaient plus répondre à l'appel des sauveteurs; c'était le cas de mon beau-frère Mathias MAYER, mort également dans cette catastrophe ".
Après cet émouvant témoignage nous avons encore rencontré deux autres rescapés, les frères KRETTNIG, domiciliés à Oeutrange, dont l'un, Antoine, est actuellement garde-champêtre et l'autre, Nicolas retraité et conseiller municipal.
Antoine KRETTNIG, né le 23 décembre 1892, à Oeutrange, marié et père de deux enfants.
" Quatre semaines avant la catastrophe, j'avais remarqué comme les galeries se rétrécissaient, les chandelles craquaient ou se pliaient sous la pression des murs. Le jour de l'éboulement, je me trouvais avec mon frère Nicolas dans un quartier où nous procédions à l'abattage. Nous terminions notre ouvrage et après avoir ramassé nos outils, nous nous sommes rendus dans un autre quartier. A peine avions-nous quitté les lieux, que tout autour de nous,s'était écroulé. Nous avons pu sortir de cet enfer après plus d'une demi-journée d'efforts, à travers un univers que nous ne connaissions plus ".
Nicolas KRETTNIG, né le 29 février 1888 à Oeutrange.
" Je travaillais depuis plus de quinze ans déjà à cette mine lorsque s'est produite la plus grande catastrophe minière (dans les mines de fer) de Lorraine. Durant 15 ans j'étais charretier; les wagons étaient tirées par les chevaux. Mais en 1914, l'armée a réquisitionné toutes les bêtes de somme et de trait, même celles des mines.
On avait installé alors des systèmes de remorquage à treuil, beaucoup moins pratique, précise Nicolas KRETTNIG. Les changements qui avaient été opéré n'étaient pas toujours dans le sens des améliorations de la sécurité, et avec un personnel très réduit, il fallait produire, beaucoup produire ".
" Mais le jour de la catastrophe, il fallait sauver, sauver tout ce qui pouvait l'être, au risque de sa propre vie. C'est ainsi que des secours s'organisèrent immédiatement après l'éboulement. Les volontaires étaient très nombreux, de même que des mineurs venus d'autres mines de la région. Mais que s'était-il passé? Vers 8h45, en-dessous du paisible village de Rochonvillers, tout s'était écroulé, presque tout avait cessé de vivre à plusieurs centaines de mètres sous terre, là où quelques instants auparavant tout était grouillant de vie. Un instant encore, il y eut quelques palpitations, puis ce fut le silence, un silence de mort. Une panique s'était emparée de tous ceux qui sentaient encore la vie se manifester en eux. L'éboulement avait provoqué une déflagration comme seules peuvent en provoquer les éléments déchaînés. Durant quatre semaines, tous les jours, on remontait à la surface le corps de l'un ou de l'autre. Quatre semaines durant lesquelles les habitants d'Algrange ont connu l'époque la plus triste. Ils venaient de perdre près de 300 de leurs fils sur le champ de bataille de la première guerre mondiale ".
Charles HEBENSTREIT
" Il y a 44 ans, je travaillais au quartier 7 et j'avais un peu moins de 17 ans et cela faisait presque 3 ans que j'y travaillais (entré le 1er mai 1916). Dans cette partie de la mine on pressentait la catastrophe. Les porions avaient dénoncé les risques d'éboulement et ils avaient décidé d'abandonner l'exploitation dans la galerie menacée et d'employer un effectif réduit pour retirer rails et machines. Exceptionnellement pour préparer ce rapatriement, je travaillais au jour au moment de la catastrophe....."
Jules ROHR, âgé de 61 ans demeurant à algrange, également ouvrier au roulage de la mine Pensbrunn depuis le 30 août 1916, doit peut-être la vie à un congé de maladie au moment du drame....
Dominique MENAPACE était entré à la mine Pensbrunn le 15 avril 1917 et travaillait sur le carreau de la mine, au service roulage. Ce jour là, il n'avait pas encore 16 ans. " Le vendredi 3 janvier 1919, nous avons repris le travail après trois jours de congé pour les fêtes du Nouvel An. Il était 8h45, lorsque la sirène de fin de poste mugit. Je me réjouissais de l'aubaine, pensant qu'il s'agissait d'une faveur exceptionnelle due à quelques incidents mécaniques. Un quart d'heure plus tard, le chef de carreau JACQUIARD me demanda de lui trouver une chaîne de 5 à 6 mètres. Puis j'ai vu accourir des mineurs, armés de pelles et de pioches.....A 10h, les premiers blessés, les premiers morts ont été remontés au jour. Je demandai alors à un porion: " Et mon papa " car mon père travaillait au quartier 7. Le porion me répondit qu'il était mort. Quatre jours plus tard, lorsqu'on a découvert Franz RIVA vivant, miraculeusement épargné par le minerai sous un wagonnet, j'ai repris espoir, car mon père et RIVA travaillaient toujours ensemble. Le corps de mon père Louis, fut l'un des derniers à être retrouvé sous l'effondrement. Personne n'autorisa que je voie le corps. Et malgré ce coup du sort, j'ai continué à travailler à la mine de Rochonvillers pendant encore 20 ans...."
Rochonvillers détient ainsi le triste record de la plus grande catastrophe des mines de fer, non seulement de Lorraine, mais encore (probablement) d'Europe