En mars 1997, j'ai sorti une monographie sur Algrange. Aujourd'hui ce livre étant épuisé depuis longtemps et contenant quelques coquilles de l'imprimeur et quelques erreurs de frappe de ma part, j'ai donc fait les corrections et mis des rajouts de ces 20 dernières années passées...... Le livre complet vous sera mis en ligne au fur et à mesure.....
Première partie de mon livre (N°1)
De gueules au marteau contourné d'argent posé en pal,
chargé d'un dragon contourné d'or,
les ailes éployées,
la queue tortillée autour du manche du marteau,
crachant des flammes du champ..
Explication:
Le marteau, emblème du mineur et du forgeron sur fond de couleur rouge symbolise l'industrie métallurgique. Le dragon, qui est aussi un emblème du feu, tiré des armes de l'abbaye de Saint-Vanne de Verdun, rappelle qu'une partie des terres de l'antique " ALKIRINGES " (Algrange), apparaît dans l'histoire comme une ancienne possession de ce monastère.
Plusieurs formes du dragon existe pour ce blason
Avant-propos
A l'heure où la Lorraine s'interroge sur la disparition de son patrimoine minier ou sidérurgique - faute d'avoir pu conserver son passé industriel - cette étude sur Algrange arrive à point nommé.
La ville fut un des premiers sites miniers mosellans: ce n'est rien moins que quatre mines qui firent la richesse d'Algrange et des environs…
Et lorsqu'on sait que seuls subsistent à présent quelques bâtiments des quatre mines. Aussi ce n'est pas sans nostalgie que l'on retrouve ce panorama industriel, aujourd'hui disparu, indissociable du contexte socioculturel contemporain.
Beaucoup découvriront ce "petit Berlin" – ainsi dénommé en raison du pourcentage élevé d'Allemands installés à Algrange de 1880 à 1918 - mais également l'eldorado des années d'avant-guerre. Qui sait encore que sa gare fut une des plus importante de la région et qu'un tramway reliait Algrange à Thionville?
Il faut remercier Roland SEBBEN d'avoir su collecter autant d'archives, de documents photographiques qui lui ont permis de se pencher sur ce qui n'est plus à présent qu'une friche industrielle, mais qui fut un des fleurons de la vallée de la Fensch: Algrange et ses quatre mines, peuvent désormais renaître…
PREMIERE PARTIE.
Origines et Situation
Chapitre I
Le contexte géographique et humain
La vallée de la Fensch est située au Nord-Ouest du département de la Moselle.
La commune d'Algrange se trouve sur la rive gauche de la Moselle, à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Thionville. Elle est limitée au sud par les communes de Nilvange et de Knutange, tandis qu'à l'est et à l'ouest, elle est bordée par deux plateaux. Le village est installé dans une vallée étroite qui s'étire sur quatre kilomètres de long, et qui est parcourue par un petit affluent de la Fensch. Le fond de la vallée se trouve à une altitude qui avoisine les 250 mètres, alors que le point culminant situé sur le plateau atteint 394 mètres. Pendant des siècles, on pouvait distinguer trois grands types de paysages:
J.-M.GEHRING écrit dans son ouvrage les lignes suivantes à propos d'Algrange: (1) " Algrange présente au début du XIXe siècle un paysage agraire…juxtaposant dans le cadre d'une vallée fortement resserrée:
- des prairies de fond sur un substratum (couche antérieure) marneux fréquemment inondé par les eaux d'un ruisseau;
- des terres de labours, marno-calcaires, pierreuses, souvent ferrugineuses, partagées en multiples parcelles contiguës, posées parallèlement aux courbes de niveau et montant haut sur des versants aux pentes assez raides:
la friche qui couvre le sommet du horst (zone élevée entre deux failles) en grandes parcelles laissées à la commune, alors que la forêt recouvre le front de côte et le bloc nord du horst "
Il poursuit en précisant:
" La petite vallée d'Algrange étire usine, maisons et mines sur plus de quatre kilomètres, cité aux quatre mines (il y en eut davantage à la fin du siècle dernier) groupant près de 10% des mineurs de fer lorrains, elle apparaît comme l'expression de l'ancienne richesse minière, et, aujourd'hui, des problèmes que pose son déclin.
Sa partie nord, entièrement tributaire de deux mines, offre l'exemple d'un vieux milieu agricole, vierge de tout habitat – ci ce n'est une puis deux fermes isolées – sur lequel s'est plaqué, autour du carreau de la mine, un habitat semi-urbain uniformisant le fond de la vallée et son enveloppe de friche dévorant progressivement les versants. "
Le domaine de Badeseler (plus tard Batzentaler) est une exploitation d'un seul tenant de quelque 65 hectares en grandes parcelles. Les forêts fournissent alors le combustible nécessaire aux forges d'Hayange vers lesquelles se dirigent les chars à bois traînés par des bœufs ou des chevaux. La situation ne semble guère avoir changé aux approches de 1870, tout au plus peut-on noter le défrichement de la butte forestière du nord-est et l'installation d'une nouvelle exploitation agricole.. Le nord n'est animé que par le travail agricole des cultivateurs et des manœuvres venus du village, éloigné d'un bon kilomètre au sud, et des quelques personnes qui habitent les deux grandes exploitations locales. (fermes à cour ouverte) Un simple chemin allait servir d'axe à la future route.
Dès le début du 19e siècle, le chemin Est porte le nom de " sous les minières " car aux limites du territoire, on a déjà gratté le sous-sol: deux minières apparaissent sur le cadastre de 1826, sous la dépendance de celles, voisines, de Beuvange qui fournissent en matière première les forges d'Hayange. Mais dès le premier tiers du siècle, la friche a envahi les " minières ", seul le toponyme est resté. (2)
Ce n'est qu'en 1880, sous l'occupation allemande, que l'exploitation minière reprend et avec elle l'essor du village…
La Fensch et ses moulins.
Affluents de la rive gauche.
A Knutange, la Fensch accueille le ruisseau d'Algrange qui prend sa source au Batzenthal, et à Pensbronne. (ancienne mine de Rochonvillers) Il est alimenté dans la traversée d'Algrange par les sources venant des coteaux voisins et ceux de la vallée de la Burbach.
Le Fond ou ruisseau de Fond, en allemand: Fond Bach, naît au Batzenthal, une ferme située au nord d'Algrange. Il coule du nord-est au sud-est en passant à Algrange et rejoignant après un parcours d'environ 5km la rive gauche de la Fensch en amont de Knutange-Nilvange…(3)
Le ruisseau d'Algrange a été canalisé à partir de 1958, depuis la création du lotissement du Batzenthal et capté dans l'enceinte de la S.M.K. (Société Métallurgique de Knutange). Les eaux usées de la Fensch et du ruisseau d'Algrange étaient épurées dans la station du Moulin Rouge avant d'être relâchées. Ce ruisseau du Batzenthal était aussi dénommé " Stinckbach " (le ruisseau qui sent mauvais)
Les moulins sur le ruisseau d'Algrange.
- Le moulin Banal était situé au fond du village en direction d'Angevillers. Au XVIe siècle, il est déjà signalé dans les comptes de Nicolas FRANCEQUIN. Le moulin d'Algrange fut réuni au domaine seigneurial de Florange par un arrêté du 5 juin 1767.
Ce moulin est banal aux habitants d'Algrange et de Nilvange avec droit de mouture du vingtième. Il est laissé par bail (99 ans) le 1er février 1785, consenti par le Duc de FLEURY au profit de Noël MOMPERT et Marie HENRY.
- Le moulin anciennement appelé ACKERMANN était situé dans la vallée de l'ancienne mine Burbach.
- Le moulin Robert dit de Knutange en 1193 se trouvait à l'emplacement de l'ancien moulin à scories de la S.M.K. Du moulin, qui avait deux roues à aubes, dépendaient environ un journal de terres, une fauchée de pré ainsi qu'un étang. En 1689, ce moulin était exploité par Charles ANDRE et Marie JACOB de Knutange. Il était déjà mentionné au XIIe siècle. Sur un titre en parchemin avec le sceau est portée la donation du " moulin de Kunetange " avec le cours d'eau par ROBERT, seigneur de Florange, avec le consentement de Félicie HUFEMIA son épouse, à l'abbaye de Notre-Dame de Justemont ... Cette donation écrite en latin par un moine de l'abbaye, dont l'abbé JACQUEMIN montre " qu'en même temps, il lui céda le cours du ruisseau depuis Algrange jusqu'au moulin, avec le droit de pêche et avec cette assurance que personne ne pourrait bâtir moulin, ni au-dessus, ni au-dessous contre la volonté du couvent… " (4)
Le moulin fut adjugé comme bien national le 16 mai 1791 à Jérôme ANDRE de Knutange, le dernier tenancier, pour la somme de 12.000 livres… Trois générations d'ANDRĖ furent meuniers à l'époque dans la vallée, le père et le fils au moulin ROBERT dit de Knutange, et le grand-père à Thionville. A la fermeture du moulin en 1887, la maison d'habitation attenante abritait huit personnes. Il sera démoli lors de la construction de l'usine de la Paix. En 1896, lors de la construction de l’usine “LA PAIX”. En 1896, lors de la construction de cette usine, le vieux moulin était encore là sur le ruisseau à moitié comblé. Le grand étang était encore visible sur des cartes postales de l'époque.
- Les eaux du ruisseau d'Algrange et de la Fensch actionnaient la grande roue à aubes du Moulin Rouge, appelé aussi " Rote Mühle ", il était situé dans l'enceinte de l'ancienne S.M.K. au lieu-dit " le Jardin de la Tournaille "… (5)
Toponymie et étymologie.
Toponymie.
L'histoire de cette ville est intimement liée à celle des villes comme Knutange, Nilvange et même Hayange. La découverte de nécropoles mérovingiennes dans la vallée de la Fensch nous permet de constater la présence et l'établissement de Francs dans nos localités. Ces tribus apportèrent une langue germanique mieux connue aujourd'hui: " le Francique " ou " Platt ".
Les noms des localités de la vallée de la Fensch se terminant par le suffixe " ingas, enges ou ingis " qui sont d'origine germanique donneront " ingen " puis " ange " après des siècles. Les toponymes formés à partir de ces suffixes sont bien les témoins des invasions franques. Ce suffixe " ange " marque l'appartenance.
Etymologie du nom d'Algrange.
Algrange a été fondée par une communauté franque et son nom provient du patronyme germain " Alker " ou " Aldager ".(6)
Évolution du nom de la commune au cours des siècles :
En 875 : Alkerengis - En 962 : Alringes - En 1139 : Alkiringes ou Alkeringes
En 1206 : Algerenge - En 1286 : Halegrange - En 1293 : Alringes
En 1304 : Oilegrange, Olegrange ou Olegrenge - En 1323 : Alcrange
En 1596 : Allgringen ou Algringen (1605) - En 1606 : Halgrange -
En 1685 : Ollegrange En 1762 : Olgrange - En 1869 : Algrange -
En 1871 : Algringen - En 1919 : Algrange En 1940 : Algringen et depuis 1944 : Algrange.
Dérivés du nom « Batzenthal » :
En 1147 : Bacendal, Batzenthal - En 1179/1186 : Bazendal - En 1692 : Batzental
En 1863 : Batzendahl - En 1904 : Batzenthal ou Batzendal
La ferme du Batzenthal fut construite en 1726 mais le lieu est déjà mentionné au moins en 1147 (Dictionnaire topographique de l'ancien département de la Moselle) En 1907, cette ferme est habitée par 7 personnes et c'est l'unique habitation du lieu-dit Batzenthal = vallée du Haut ? Ou vallée des Sources ? Du nom germanique Benzo ou Batzo suivi du mot tal (vallée)
En 1853 on trouve la ferme du Scharren ou de Charennes et en 1900 Scharrenhof. Le surnom donné aux habitants d'Algrange fut " Kolatsch " (c’est une tarte ronde faite de pâte friande couverte de poires amères qu'on a fait sécher). Dans les anciennes familles d'Algrange, il était de coutume de présenter à leurs hôtes, lors des deux fêtes patronales de fin juin et de début décembre, cette tarte faite selon une recette russe. " Kolatsch " est aussi le nom d'une ville située en Ukraine dans la province de Woronesch. (7)
Chapitre II
Des premiers documents
à la ville moderne.
Le nom d'Algrange n'apparaît officiellement que dans un document daté du 25 novembre 875 montrant qu'Algrange était alors sous tutelle ecclésiastique, sous le règne de Louis le Germanique qui confirmait au couvent de Sainte-Glossinde de Metz une charte donnant des droits de propriétés (dîme et impôts) sur “ Alkerengis ”. Cette charte cite Hayange, Nilvange, Suzange et d'autres localités…
Sous ce même nom d'Alkerengis, nous retrouvons ce hameau comme dépendant de l'abbaye Saint -Vanne de Verdun, qui y posséda très tôt des biens, et aussi comme annexe de la paroisse de " Haingas ". (Hayange ) Les moines de Villers - Bettnach avaient des droits et des propriétés à " Alhuringen " tout comme le couvent de Justemont ( 1139-1147 ) et aussi l'abbaye de Saint-Pierre de Metz au XIIe siècle
Bien que la véracité du document soit mise en doute, il en ressort quand même, sans équivoque qu’Algrange pour sa première apparition, l’est dans un document provenant de l’empire allemand de l’Est, lequel est relié par le traité de Merten du 22 janvier 870 avec la moitié de la Lorraine allemande. Algrange s’est toujours trouvée dans la zone linguistique allemande, bien que juste à la frontière, cette frontière passant entre elle et sa localité voisine : Nilvange.
Le village d'alors dépendait en partie de l'Ecoutêterie d'Oeutrange, de la prévôté seigneuriale de Volkrange ainsi que de la seigneurie de Florange. (8)
La ferme du Batzenthal est déjà mentionnée en 1147 sous le nom de "Bacendal ". (9) Cette ferme appartenait à la prévôté de Thionville, et en 1147, confirmée comme propriété de l'abbaye de Villers-Bettnach, elle appartint à cette abbaye jusqu'à la révolution de 1789.
L'autre ferme " Charrennes " en 1648 " Charennes " en 1853 et " Scharrenfhof " en 1900 est également mentionnée comme appartenant à la seigneurie de Florange.
Un document datant de 1193 témoigne que le ban d'Algrange s'étendait " au moins " jusqu'à la Fensch. En 1193, Robert 1er, seigneur de Florange, offrait à l'abbaye de Justemont le cours du ruisseau de Fontoy, d'Algrange jusqu'au moulin de Knutange, avec interdiction à quiconque de construire ni au-dessus, ni au-dessous un moulin sans le consentement de l'abbaye…
La même année, Robert 1er, avec l'accord de son épouse, offrit également à l'abbaye de Justemont le moulin d'Emetange, certainement situé entre Algrange et Knutange.
Après avoir été complètement rasé à la guerre de trente ans, les Algrangeois ont certainement voulu s'éloigner de la route militaire Hayange – Fontoy et placer le village plus loin dans la vallée. Algrange était en terre luxembourgeoise jusqu'en 1659. Le village fut géré par la prévôté de Thionville (des Trois Evêchés), puis rattaché à la seigneurie prévôtale de Volkrange, à la seigneurie de Florange (1625) et à l'Ecoutêterie d'Oeutrange (3 censes lui appartenaient)
Contrairement à Fontoy, Florange, Hayange, Algrange n’est pas le siège d’une seigneurie. Le ban d’Algrange n’est peuplé que de paysans payant un lourd tribut aux seigneurs, abbés, bourgeois et constamment menacés par la disette, les maladies, les guerres….
Population d'Algrange : (évaluation par rapport au nombre de " feux ": unité fiscale représentant en gros une famille de 5 personnes)
- en 1473 18 feux soit environ 90 habitants.
- en 1495 18 feux soit environ 90 habitants.
- en 1525 8 feux soit environ 40 habitants.
- en 1541 13 feux soit environ 65 habitants.
- en 1605 7 feux soit environ 35 habitants.
La guerre de Trente Ans connût deux périodes:
- La Suédoise (1635/1636), avec d'un côté la France de Richelieu alliée aux Hollandais et Suédois et de l'autre l'armée de Ferdinand II composée de Croates, de Polonais et de Hongrois.
- La Française (1642/1646), avec d'un côté les armées de Lorraine du duc Charles IV et celles du roi de France de l'autre.
L'an 1636 resta longtemps gravé dans les mémoires. On l'appelait " l'an de la mortalité " ou " l'an des Croates " tant les populations avaient été exterminées, les villages pillés, brûlés ou abandonnés.
En effet, en 1636, le village fut entièrement incendié par les Croates. Seule une inscription (en langue allemande) gravée dans une pierre de taille, est encore visible aujourd'hui, au-dessus de la porte du n°99a de la rue Clemenceau. (10)
"1636. Ist dies Dorff durch die Croaten ganz abgebrant wordn.
1650 ist dies Haus durch N. SCHARFF von Diedenhofen erbaut wordn.
Traduction française:
" En 1636, ce village a été totalement incendié par les Croates
En 1650, cette maison a été reconstruite par N. SCHARFF de Thionville. "
Cette année 1636 restera tristement célèbre dans les annales de la vallée de la Fensch. (11)
Dans les campagnes, il n'y avait plus guère de bétail, les terres retournèrent en friches et les habitants de la vallée se réfugièrent dans la forêt.
Algrange fut reconstruite après la signature du traité de Westphalie qui mit fin en 1648 à la guerre de Trente Ans. Mais la guerre entre la France et l'Espagne continuait. Il est peu probable que Nicolas SCHARFF de Thionville fut le seul dans cette vallée isolée, à oser reconstruire une maison en 1650.
Plusieurs villageois construisirent sans doute leur habitation à proximité de cette maison. La découverte des restes d'un cimetière derrière la maison BOMBARDIER en haut de la rue de la Fontaine confirme cette hypothèse. Le nouvel Algrange a certainement été construit plus vers le fond de la vallée. Cette supposition a été apportée par la transmission orale des indigènes et une archive datant de 1193, disant que les limites d’Algrange étaient la Fensch.
Le 7 novembre 1659, le traité des Pyrénées mit fin au conflit. L’Espagne céda à la France une partie du Duché de Luxembourg. Algrange fut rattachée à la France. En 1692, elle revint à la France suite à l’extinction des Seigneurs de Florange. Puis en 1734, la terre d'Algrange en tant que fief retourna au Roi de France, par droit d'aubaine, suite à l'extinction de ses possesseurs les demoiselles de Zoëtern.
De 1743 à 1789, Algrange sera fief mouvant et siège de la seigneurie de la famille Von BOCK, seigneurs d'Algrange et de Zoufftgen avec droit de haute justice…
En juillet 1788, le roi Louis XVI décide de réunir les Etats Généraux du royaume à savoir les " Députés des trois ordres ": le Clergé, la Noblesse et le Tiers-état.
La première réunion de ces Etats Généraux doit se tenir à Versailles le 5 mai 1789. Ils n'avaient pas été convoqués depuis 175 ans. (1614)
Afin de préparer cette réunion exceptionnelle, les gens de la vallée rédigent des Cahiers de Doléances, de plaintes et de remontrances dans lesquels ils expriment leurs souhaits, sous la plume de leur curé, de leur syndic (maire) ou d'un notable.
La majorité des Cahiers furent rédigés le 8 mars, après la messe. Les deux députés de chaque commune allèrent représenter leur village à la réunion du 10 mars, au chef-lieu du bailliage : Thionville.
Et c'est là que furent désignés les députés qui les représenteront à Versailles. Ce fut le curé de Wolkrange (l’abbé BROUSSE), WOLTER de Neurbourg et le Comte de Custine.
Cahiers de doléances, plaintes et remontrances. (12)
Algrange est une annexe de Hayange et de Fontoy possédant 44 feux. L'assemblée du 8 mars se tint dans la maison du syndic, François FRECHEIN, et par-devant lui la publication au prône fut faite par le vicaire d'Algrange.
Les députés furent Vincent WEBER et Georges FRECHIEN
Doléances, plaintes et remontrances de la communauté d'Algrange. (extrait des Cahiers de Doléances des Bailliages des généralités de Metz et de Nancy)
" L'an 1789, le 8 mars, nous membres de la municipalité d'Algrange, en vertu de l'ordonnance de Monsieur le Lieutenant-général du bailliage de Thionville, signifiée à François FREICHEN, syndic dudit lieu, le 4 du courant, nous avons assemblé tous les habitants dans le lieu ordinaire pour leur faire la lecture des lettres de convocation pour les Etats généraux y relative, et, après leur avoir annoncé les intentions bienfaisantes de Sa Majesté notre Roi, nous avons recueilli les vœux et doléances des dits habitants et les avons exprimés ainsi qu'il suit, Savoir ":
Article 1.
Nous supplions Sa Majesté de nous accorder le bienfait du retour périodique des Etats Généraux.
Article 2.
L'établissement des Etats provinciaux dans la Province des Trois-Évêchés.
Article 3.
Le moyen d'alléger le poids de l'impôt, sous lequel le peuple gémit, ce serait de le simplifier en supprimant la taille et en ne laissant subsister que le vingtième et la capitation, à laquelle seraient soumis les trois ordres du clergé, de la noblesse et du tiers état proportionnément aux revenus de chacun, dont il serait fait une nouvelle vérification.
Article 4.
De simplifier la perception de l'impôt par l'établissement d'une caisse provinciale ou de district, dans laquelle les collecteurs iraient verser, et sans frais, les deniers de leurs communautés respectives.
Article 5.
La conversion des droits de gabelles et d'aides dans une prestation en argent équivalant à la somme versée par les fermiers généraux dans les coffres du roi, qui serait répartie sur toutes les provinces du royaume soumises aux gabelles et aux droits d'aides à raison de leur étendue et de leur population, pour être par les Etats provinciaux répartie dans chaque municipalité à raison de la quantité d'habitants qu'il y pourrait avoir dans chaque communauté.(alias quantité de personnes qui composent chaque feu)
Article 6.
Comme le commerce et l'agriculture sont les deux sources de richesse de l'Etat, nous supplions Sa Majesté de délivrer l'un et l'autre de toutes les entraves qui les gênent. Ainsi nous demandons que toutes les marchandises de fabriques nationales soient affranchies de tous impôts, et, pour l'encouragement de l'industrie nationale, de transporter l'impôt sur les marchandises étrangères, surtout celles de luxe et d'agrément.
Article 7.
L'abolition des droits de traites foraines, qui rendent la province de Lorraine dépendant du même royaume, étrangère à la province des Trois-Évêchés, qui lui est contiguë
Article 8.
L'abolition de tous les droits de péage, si multipliés en France, qui ne doivent leur naissance qu'à la construction de quelques ponts ou d'autres ouvrages publics, pour lesquels les sommes perçues depuis ont déjà payé dix fois la valeur de l'ouvrage.
Article 9.
L'abrogation de la loi qui autorise la clôture des prairies naturelles et qui défend le parcours réciproque des bestiaux d'un village à l'autre comme préjudiciable à l'agriculture en général et à la multiplication des bestiaux et à la subsistance des pauvres et à la fertilité des terres et très préjudiciable même aux propriétaires par la moindre quantité et la moindre qualité des foins qu'ils perçoivent, et parce qu'il ne leur reste pour fruit de leurs dépenses de clôture que le stérile plaisir d'une propriété exclusive.
Article 10.
Renouvellement des ordonnances, et de plus rigoureuses encore, sur le droit de colombier des seigneurs, qui fait le plus grand tort aux gens de campagne et à la semaille et à la moisson.
Article 11.
La suppression des haras.
Article 12.
De nouvelles lois plus efficaces pour la conservation des bois et un nouveau règlement sur les rapports que les gardes surveillants font tous les jours aux communautés pour les dégradations que les défaillants font continuellement dans nos bois à des heures inconnues, et que les gardes ne peuvent point les joindre pour en faire leurs rapports: c'est ce qui fait que les officiers de la maîtrise rendent les communautés responsables, tandis qu'elles sont innocentes
Article 13.
Un droit de contrôle simple et uniforme pour tous les actes qui en sont susceptibles, et le surplus du bénéfice qui peut en revenir au roi, ajouté comme un accessoire à la capitation.
Article 14.
La suppression des huissiers priseurs.
Article 15.
Une modération pour le droit d'ensaisinement pour les actes en l'adoucissant à une taxe plus basse qu'il n'est.
Article 16.
Une défense rigoureuse contre l'exportation des grains et leur monopole.
Article 17.
Les décimateurs sujets aux réparations de notre église, (vu) qu'ils perçoivent la dîme dans toute l'étendue du ban de notre communauté depuis une quantité d'années expirées sans avoir une seule fois assisté à rebâtir notre église et même aux réfections dont elle a grand besoin pour le présent, et la communauté n'étant pas en état de pouvoir y subvenir à cause de la pauvreté de plusieurs habitants qu'il y a dans notre communauté, et puisque étant assujettis aux paroisses de Hayange et de Fontoy de leurs églises et que nous avons même assisté à payer la réfection faite aux maisons de cure de Hayange et Fontoy, pour la construction de la nouvelle de Hayange faite en 1771 et la construction de notre église faite en 1774, (cela) nous rend incapables de pouvoir entretenir la nôtre. La dame abbesse de Sainte-Glossinde tire la moitié de la dîme, grosse et menue ; l'abbaye de Villers-Bettnach tire l'autre moitié. Toute la dîme est estimée à 650 livres et d'autres années à 700 livres. C'est pourquoi nous supplions Sa Majesté notre roi à ordonner que les décimateurs soient obligés à la réparation de notre église comme n'étant qu'une annexe.
Fait et arrêté sur la place communale susdite à Algrange, après en avoir fait lecture à haute et intelligible voix, les dits jour et an dits.
Pierre GILLE, membre; Georges FRECHIEN, membre et député; Vincent WEBER, député; Noël MOMPERT, membre; François FRECHEIN, syndic; François THIL; Jean GILLE; Jean FRECHEIN; Pierre WEBER; Arnould BISSERET; Christ VEBERT; Christ MULLER; Vincent MULLER; Arnould FRECHAIN; Jean- Pierre RICHARD..
Peut-être FREICHEN n'est-il pas distinct du syndic. On ne trouve pas dans l'énumération des comparants Arnould FRECHAIN qui signe le procès-verbal et le cahier.
N'ont rien signé: Jean MARTIN, Pierre KOCH, Michel GILLE, Bernard CLAUDE, Jean VEBER, Jacques DENIS, Servais VOLSTROFE, Etienne MERCIER, Louis LOMMERT, Thomas BERNARD, François VEBER, Christ VEBER l'aîné, Michel FRIEDRICH, Jean DENIS, Barthélemy MERCIER, Pierre BOEE, Barthélemy VEBER, Pierre GILLE le Jeune; un second Pierre VEBER.
Arnould MULLER signe le procès-verbal et non le cahier. Il y eût donc 35 comparants pour 44 feux et seulement 16 signatures.
Les paysans les plus pauvres, presque tous analphabètes, manouvriers, brassiers, chanvriers…, n'ont pu que très mal s'exprimer dans ces cahiers de doléances rédigés par un notable.
Le cahier d'Algrange est un cahier type qui a servi à l'élaboration des cahiers d'autres communes (Knutange, Erzange…) Ainsi les cahiers de la vallée de la Fensch nous donnent des indications qu'il est impossible de récuser.
Les gens de la Fensch, début mars 1789, ne remettent pas en cause leur attachement à la royauté et au roi. Ils ne remettent pas non plus en cause la religion et la propriété.
Dans l'esprit de ces paysans, la royauté, la religion et la propriété n'appartiennent pas à la société qu'ils condamnent.
C'est " l'ancien régime " qui est condamné et remis en cause suite aux abus, à l'injustice fiscale, aux droits seigneuriaux, à la façon dont est perçue et répartie la dîme enfin aux privilèges. En réunissant les Etats Généraux à Versailles le 5 mai 1789, le roi espérait trouver de l'argent, par des sacrifices supplémentaires de son bon peuple. En rédigeant leurs cahiers de doléances deux mois plus tôt, les gens de 1789 espéraient de vastes réformes et une nette amélioration de leur condition. (13)
De ce quiproquo allait naître la Révolution.
Synthèse des doléances.
Dans l'article 2, ils s'attaquent à l'administration royale pour l'érection de la province des Trois-Évêchés en Etat provincial.
Dans l'article 3, ils s'en prennent aux impôts directs, qui ne sont pas équitables. Le paiement en fonction du revenu de chacun, par tous, est réclamé.
Dans l'article 5, contre l'administration des impôts indirects qui sont parfois insupportables. Et contre les Seigneurs qui ont le monopole de l'élevage des pigeons qui sont la cause de dégâts lors des semailles (article 10)
Dans l'article 9, ils critiquent l'administration royale et son édit de clôture de mai (1768) parce que cet édit qu'on aurait pu croire bénéfique pour l'agriculture, s'avère néfaste dans l'ensemble. Clôturer c'est interdire le droit de parcours pour les troupeaux. C'est donc priver les pauvres sans terres de possibilité d'avoir quelques bestiaux.
Dans l'article 12, ils remettent en cause l'administration des eaux et forêts, car des gardes-forestiers trop zélés, causent eux-mêmes des dégâts pour dresser ensuite des procès-verbaux à des innocents.
Dans l'article 14, ils s'opposent à la vénalité des charges, car l'huissier priseur s'est octroyé en plus de ses attributions le droit exclusif de procéder aux ventes de meubles et de prélever sa taxe.
Dans l'article 15, ils s'opposent à l'administration royale pour l'ensaisinement, parce que les habitants des domaines royaux sont de pire condition que les habitants des seigneuries propriétaires.
Dans l'article 16, ils s'opposent aux accapareurs de blé, car certaines personnes spéculent sur le blé en le stockant, phénomène fréquent chez les gros laboureurs, les seigneurs ou les bourgeois.
Dans l'article 17, ils s'opposent aux décimateurs, qui ne devraient pas suivre la déclaration du 11 janvier 1772, qui les autorise à ne pas prendre en compte l'entretien et la construction des églises; les communautés annexes se doivent d'entretenir et parfois de reconstruire les églises mères. Ce qui cause un embarras financier pour la communauté qui doit penser à son église et à celle des autres.
A cette époque, Algrange, annexe de Fontoy et d'Hayange, comptait 44 feux soit environ 220 habitants.
En 1790, Algrange fut rattachée au canton de Florange, en 1795 à celui d'Oeutrange, de 1802 à 1816 au canton de Cattenom, de 1816 à 1901 à celui de Thionville. Ainsi les Algrangeois durent chercher leur chef-lieu de canton dans les directions les plus diverses, jusqu'à ce qu'ils le trouvent à proximité.(à Hayange le 9 avril 1901)
Au début du siècle précédent, Algrange fut réduite au rang d'annexe d'Angevillers le 8 octobre 1811. Elle redevint commune le 9 août 1833 et retrouva une mairie et un conseil municipal.
Algrange devint allemande fin août 1870, car dès la fin des batailles de Metz, toute la région de Thionville fut occupée par les troupes allemandes et administrée par le Gouverneur général de Haguenau. Le traité de Francfort du 10 mai 1871, prévoyait qu’Algrange (avec la terre d’Empire d’Alsace-Lorraine) serait intégré à l’Allemagne. A l’établissement définitif des frontières, les Allemands proposèrent aux Français un échange : le canton de Giromagny près de Belfort avec 25 localités contre une bande de terrains de 10.000 hectares avec 12 localités et 7000 habitants au Nord-Est de Thionville. Les Français acceptèrent volontiers cet échange et signèrent la convention annexe le 12 octobre 1871. Grâce à cela, l’Empire reçu les riches gisements de minerai de fer et donc aussi Algrange.
Libérée en 1918, puis ré-annexée en 1940, elle sera, depuis septembre 1944, rattachée à la France.