Livre de Roland SEBBEN - ALGRANGE Cité aux 4 mines - Les quatre mines (2)
Martin WENDEL, au début de 1704, apprend que sur les rives de la Fensch, des usines à l'abandon sont à vendre, comprenant une forge (la Rodolphe), du nom de son fondateur Rodolphe HULLIN de la ROCHE, un fourneau (la Magdelaine), une platinerie inachevée où l'on fabrique des produits plats, enfin une fenderie en construction. Le 8 mai 1704 il appose sa signature au bas de l'acte dans lequel il prend possession des forges de la Rodolphe. Le 16 juillet 1705, il complète son domaine en achetant les terres aux alentours, c'est à dire le minerai, le bois et l'eau nécessaires à l'alimentation des forges: le voilà Seigneur d'Hayange.
Le nom WENDEL apparaît pour la première fois, semble-t-il, lorsque Jean Martin WENDEL devient l'administrateur de la seigneurie d'Ottange, à laquelle étaient attachées de nombreuses forges. (Il reçoit le " de " le 17 février 1727). Ce dernier acquit du roi de France, en 1705, la seigneurie d'Hayange avec la juridiction par la suite. Vers la fin du XVIIIe siècle, dans ces forges acquises de 1710 à 1715, on fabriquait notamment des essieux, des affûts à canons, des boulets et des balles de fusils. A la Révolution, les forges d'Hayange furent déclarées bien public. Charles et François de WENDEL les rachetèrent en 1803, ainsi que l'ancienne usine des ducs de Lorraine à Moyeuvre en 1801, renflouant ainsi l'industrie minière et métallurgique de Lorraine.
Mais cette industrie ne devait connaître son essor principal que vers la fin du XIXe siècle, lorsque les Anglais Percy THOMAS et Sidney GILCHRIST eurent mis au point en 1878, un procédé de déphosphoration de la fonte en garnissant les convertisseurs d'un revêtement basique. Par cette invention " la minette " de Lorraine, d'une valeur inférieure jusque là du fait de sa trop grande teneur en phosphore, devint très recherchée, d'autant plus que son extraction était relativement aisée suite à l'importance des couches et à leur facilité d'accès, car situées la plupart à flanc de coteaux.
De plus, la nouvelle loi minière d'Alsace-Lorraine du 16 décembre 1873, entrée en vigueur le 1er avril 1874, rendait plus facile l'acquisition des concessions minières car elle exigeait seulement que fusse démontrée l'existence du gisement, alors que la loi française, appliquée antérieurement, prévoyait la démonstration préalable de l'exploitabilité. Il devenait ainsi plus facile à quelques propriétaires de se procurer en quelque sorte un certain monopole sur l'étendue des concessions et d'exclure la concurrence d'autrui.
La statistique de 1872 fait mention, en effet, que de 13 concessions minières d'une surface totale de 8 519 ha (dont 5 seulement étaient en exploitation) et de 12 exploitations à ciel ouvert. En 1895, il y avait en Lorraine (département de la Moselle) 187 concessions d'une superficie totale de 41 817 ha. La production de minerai était en 1872 de 684 000 tonnes; en 1906 elle était de 13 834 485 tonnes extraites des 52 mines en exploitation.
Chapitre II - Du village à la cité minière.
Comme la plupart des communes situées dans la région, Algrange dut son extension et son développement à l'industrie minière. L'exploitation du minerai à flanc de coteaux à Algrange est très ancienne. En effet, les moines de Villers-Bettnach auraient été les premiers à avoir découvert et exploité le gisement de minerai dans la vallée inférieure de la Fensch. En 1240, PHILIPPE II, seigneur de Florange permit l'exploitation du minerai sur ses terres en quantités illimitées (sol et sous-sol) à ces moines en leur accordant bonne escorte à l'intérieur de ses domaines en cas de nécessité.
Cette donation forme le témoignage authentique le plus ancien, attestant des débuts de la métallurgie du fer en Lorraine. L'acte était conçu comme suit: (14)
" Notum ist universis has litteras inspecturis, quod ego Philippus dominus de Florengis concessi fratibus de Vilerio pro salute mea et amnium parentum meorum, uxore mea et filiis meis consentientibus, ut bibucumque in terra mea minamm, de qua ferrum fierri solet, invenire potuerint ex qua, quando et quantum voluerint, sine omni contradictione accipiant et si necesse fuerit, conductum eis per terram meam providebo. Ut autem donatio ista cessari non possit, eam praesentium testomonio et sigilli mei appensione confirmo.
Datum Mettis anno incarnationis dominicae MCCXL. "
Traduction du texte latin:
" Il est notifié à tous ceux qui liront ces lignes, que moi PHILIPPE, seigneur de Florange, ai concédé aux frères de Villers, pour mon salut et celui de tous mes parents, avec le consentement de ma femme et de mes enfants, le droit de rechercher le minerai de fer dans toute l'étendue de mes terres, d'en extraire les quantités qu'ils voudront et quand ils voudront, sans rencontrer aucun empêchement. Si c'est nécessaire je leur procurerai une escorte sur mes terres. Pour que cette donation ne puisse pas être cédée, je le confirme par le témoignage des gens présents et par l'apposition de mon sceau, en l'an 1240 de l'incarnation du Seigneur ".
Le minerai de la partie supérieure, situé sur le ban de la seigneurie de Hayange, fut donné en 1260, par le seigneur THIERRY de Hayange, fils de GUILLAUME Ier, à son voisin le Comte THIBAUT de Bar. Celui-ci pouvait extraire ce minerai gratuitement pour les forges qu'il exploitait dans ses forêts de Briey.
Ces deux documents marquent le commencement de l'industrie du fer dans la vallée de la Fensch et de celle de l'Orne. Les forges forestières de Briey s'étendirent bientôt vers le village du Conroy (Moyeuvre-Petite) et vers la vallée de l'Orne (Moyeuvre-Grande)
Le procédé THOMAS.
Pour la première fois en 1195, des feux de forge ont été alimentés, au pays de Liège, par du charbon, les Wallons au XIIIe siècle l'ont nommé " boye "; en France la première mine de charbon a été ouverte en 1734 à Anzin.
La houille, roche fossile de couleur noire, est appelée aussi " charbon de terre ". Elle est le résultat de la décomposition de matériau d'origine végétale à l'abri de l'air. Les gisements proviennent des forêts de conifères qui furent englouties lors des grandes transformations géologiques.
La technique du four à puddlage mise au point par l'Anglais Henry CORT en 1774, est une opération qui affine la fonte en la décarburant et remplaçant l'ancien affinage au charbon de bois. Elle permet aux forges de se passer de bois, comme le procédé de la fonte au coke le permit aux haut-fourneaux.
L'acier entre en scène grâce à l'apparition en 1855 du convertisseur " Bessemer ", du nom de son inventeur, Sir Henry BESSEMER. En 1865, l'ingénieur Pierre MARTIN inventera le procédé dit " Martin " pour la fabrication de l'acier affiné par décarburation de la fonte. Sidney GILCHRIST et THOMAS, en 1877, perfectionneront encore ces précédentes inventions. Leur procédé permettra de déphosphorer le fer, en garnissant les convertisseurs d'un revêtement basique. La combustion élève la température jusqu'à 1450°.
Evolution des mines d'Algrange.
Ont donc été extraites en 1908 avec 3784 mineurs et 141 employés 3 450 325 tonnes de minerai. De plus, l'usine " Hutte Friede " de Knutange avec 2980 ouvriers et 150 employés avait produit cette même année 415 996 tonnes de fonte affinée et 334 070 tonnes d'acier.
A la veille de la 1ère guerre mondiale, Algrange était assurément une ville en pleine expansion, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan démographique.
D'après le Pasteur HANSTEIN, il ne semble pas y avoir eu de heurts entre les différentes communautés à Algrange durant cette guerre de 14-18.
Chacun se contentait de continuer son travail, notamment la communauté italienne qui restait dans l'expectative. Il faut cependant signaler que très tôt, une milice communale fut constituée par le bourgmestre et que près de 300 terrassiers furent réquisitionnés par le chef-porion nommé BRITZ, afin de procéder à l'entretien des fortifications, notamment à celles de Thionville.
Pendant ces quatre années de guerre, Algrange connut des problèmes sur le plan économique: si les mines n'étaient pas arrêtées, elles tournaient au ralenti. La production de minerai était en chute, du fait du manque de main d'œuvre. Près de 3000 mineurs étaient mobilisés, et il n'était pas rare de voir femmes et enfants concourir à soutenir l'effort de guerre. On eut aussi recours à l'emploi de prisonniers, notamment des Russes, pour travailler au fond de la mine. De 1913 à 1920, la production fut réduite de 2/3 pour les mines d'Angevillers (66%) et Sainte-Barbe (65%) et de plus de la moitié pour Burbach. (54%)
Après 1918, la reprise fut lente et il fallut attendre la fin des années 20 pour retrouver un niveau de production conséquent, car Algrange qui était presque totalement germanique, d'où son surnom de " Petit Berlin ", (surnom qui était dû à la présence de très nombreux Allemands et Autrichiens résidant à Algrange avant 1918) vit sa population décroître suite au départ de la majorité des Allemands à la fin de la guerre. Ce fut surtout des notables qui fuirent, tels, le maire FREY, le pasteur HANSTEIN, le directeur de la mine, le docteur PROBST, des instituteurs… Ainsi, il ne résidait à Algrange plus que 1000 Allemands environ après les années 1920. Leurs biens furent confisqués ( propriétés allemandes, biens immobiliers…) Le contexte économique était donc très difficile; la mise sous séquestre des usines en attendant leur rachat ainsi que le départ d'une partie de la main-d'œuvre allemande firent que les mines étaient paralysées. Néanmoins, bien qu'ayant connu quatre années de guerre, les mines d'Algrange étaient intactes et, immédiatement différents groupes s'en portèrent acquéreurs.
L'usine " La Paix " fut également mise sous séquestre dès le 12 novembre 1919 et recréée sous le patronyme de " Société Métallurgique de Knutange " ( S.M.K.)
Quarante-huit années d'annexion avaient profondément changé le village d'Algrange. Que ce soit d'un point de vue culturel, démographique ou économique. Tout avait été bouleversé et de nouvelles structures s'étaient mises en place dans un cadre germanique. A la suite du traité de Versailles, Algrange cessa d'être une ville allemande, mais la rupture ne fut pas aussi brutale. Les liens particuliers tissés entre les différentes communautés encore renforcés par les tragédies, ne furent pas rompus…
L'administration s'était doucement coulée dans le moule existant et Algrange reprit son expansion, mais cette fois dans un paysage français. Dès 1922, la population se reconstitua grâce à l'apport de travailleurs venant notamment d'Italie. Ces nouveaux arrivants formaient une population jeune et dynamique.
Mais les répercussions de la crise de 1929 brisèrent cet élan. Dès 1931, les premiers effets se firent sentir. Il fallut " dégraisser " les effectifs de l'industrie minière et les premiers touchés furent bien souvent les étrangers qui étaient forcés de retourner chez eux.
L'entre-deux guerres fut marqué par d'imposantes crises. Parmi les plus importantes citons celles de 1921, 1924, et surtout les crises des années 1929/30 et le front populaire de 1936. La crise mondiale n'avait pas épargné la mine: baisse de la production donc diminution des effectifs…
Un léger redressement commença en 1938, mais la seconde guerre mondiale allait bientôt être déclarée. Celle-ci fut encore plus désastreuse pour la mine que la guerre de 1914/1918.
La guerre finie, l'exploitation minière reprit doucement et s'éleva sensiblement en 1955 pour progresser dans les années 1960. Mais, de nouvelles récessions provoquèrent une légère baisse en 1963, 1967 et 1968. Le minerai lorrain: " la minette ", devenant moins intéressante, le minerai exporté étant de meilleure teneur en fer et de meilleur coût malgré son transport fit que les mines du bassin ferrifère se mirent à fermer les unes après les autres et ceci malgré les importantes manifestations en faveur de leur sauvegarde. En une dizaine d'années, de 1973 à 1983, toutes les mines d'Algrange cessèrent leur activité.
Même l'usine S.M.K., arrêtée partiellement depuis 1972, l'est totalement depuis 1984.
Techniques et exploitations.
Les conditions de travail du personnel dans les mines ont toujours été très pénibles et dangereuses, surtout à l'époque des premières extractions avec la confection et l'avancement des galeries, par la pose des bois de chandelles servant au soutènement du plafond. Les mineurs travaillaient avec des pics, des pioches, des barres à mine pour le dépilage, avec comme éclairage une lampe à huile.
Le transport du minerai se faisait par des hottes portées sur le dos jusqu'à la sortie de la mine, par la suite des rails avec des wagonnets furent mis en place. Ceux-ci étaient d'abord poussés par les hommes, puis tirés par des chevaux jusqu'au quai de chargement où se trouvaient les wagons prêts à partir pour les usines.
En 1903-1904, la lampe à carbure fait son apparition ainsi que la perceuse mécanique. Les éboulements sont fréquents, les galeries sont obscures et inégales, pleines d'eau…
En 1906, on remarque que les mineurs de la vallée d'Algrange sont les mieux payés de toute la région d'Alsace-Lorraine; en moyenne par jour de travail, un mineur gagne 6,40 marks, un chargeur 5,18 marks, un ouvrier travaillant au jour 3,93 marks et un jeune ouvrier 1,63 marks.
Dès 1903, certaines mines avaient construit une machine à vapeur servant à la ventilation et à l'éclairage des galeries près des puits d'aération. En 1910, le personnel ne va plus au fond à pied mais, dans les wagonnets remorqués par de petites locomotives électriques, ainsi que par des ascenseurs.
Pendant les années d'exploitation, chaque mine a connu des progrès techniques; les wagonnets de minerai sont tractés par des chaînes jusqu'au silo de chargement ou par des bandes transporteuses. Fini la foreuse et le chargement à main, la traction animale ainsi que les bois de chandelles, les plafonds sont boulonnés avec des plaques supports, l'abattage se fait par explosifs classiques et c'est le " jumbo " qui prépare les tirs à grande volée. Le chargement se fait par " joy " sur camions-navettes pour alimenter les berlines à la gare du quartier ou le concasseur.
Des règles de sécurité sont mises en place dans chaque mine, mais celles-ci n'empêchent pas les accidents de se produire. Des concours et des diplômes récompensent les meilleures mines…
Les mineurs, " les gueules jaunes " comme on les nomme, sont souvent malades par le manque d'air, par la chaleur, l'eau, la poussière du fond de la mine (arthrose, rhumatisme…) Ils sont également atteints par une maladie grave, la maladie du mineur de fer: la sidérose, car beaucoup en meurent avant ou après quelques années de retraite. (et non la silicose, maladie des mineurs de charbon)
Les concessions ont plusieurs artères servant au déplacement du personnel, du matériel, ainsi qu'à l'extraction du minerai. L'aboutissement, au fond de ces artères, constitue le point de départ de nombreuses galeries. L'exploitation se faisait en deux étapes: le traçage et le dépilage. Le " traçage " est une opération consistant à découper la couche de minerai en îlots. A partir d'une galerie principale, on trace chaque 100 m des galeries " secondaires ". Puis tous les 100 m et perpendiculairement à celles-ci sont tracés de nouvelles galeries, les " tertiaires ". On obtient ainsi des îlots carrés d'environ 100 m x 100 m Chaque îlot ou " panneau " est ensuite découpé par des galeries parallèles séparées par des piliers assurant le soulèvement du toit; ce sont les " chantiers ". A partir de là, le traçage proprement dit est terminé. Il a permis d'extraire environ 35% du minerai en place.
Le " dépilage " est la seconde phase. Il est entrepris soit immédiatement après le traçage, soit à terme suivant les nécessités de l'exploitation. Le dépilage consiste à reprendre les piliers, l'un après l'autre, pour enlever le maximum de minerai. Pour cela, en partant du grand côté des traçages, on fera une galerie parallèle aux petits côtés du pilier, la " recoupe " et l'on obtient ainsi un " rideau ". Puis on refend le rideau par une galerie perpendiculaire à la recoupe. Il reste donc deux piliers ou " quilles " qui sont abattus à l'explosif. Puis on utilise le " foudroyage " qui se fait " en rabattant ", c'est à dire en foudroyant successivement, en se rapprochant du point d'évacuation du minerai, les petites piles résiduelles. Cette opération doit être faite soigneusement, afin de pouvoir contrôler l'affaissement des couches supérieures venant combler le vide provoqué par le dépilage.
Le traçage et le dépilage se font à l'explosif.
Le tir se fait à l'aide de cartouches à oxygène liquide, qui sont sèches. Celles-ci sont trempées avant utilisation dans un vase remplie d'oxygène liquide. Elles ne deviennent un explosif qu'après avoir séjourné pendant 30 à 45 minutes dans le vase de trempage. Elles sont alors placées dans des trous qui ont été forés: " schéma de tir ". On envoie alors un courant électrique dans les allumeurs à partir du poste de tir. La progression après chaque tir est de 2 mètres environ.
Puis est apparu le " tir systématique " sur gros trous, qui permit d'augmenter l'avancement obtenu après chaque tir. (On gagne ½ mètre par volée) Avec la foration de nouveaux puits d'aération, on utilisera le " tir au nitrate de fuel ", moins dangereux mais demandant une bonne aération.
De nombreux puits sont ouverts à Algrange sur le plateau et dans les hauteurs de la Burbach (Witten I et Witten II, les minières dites « riches côtes….) mais les principaux furent ceux de Burbach, La Paix, Angevillers et Rochonvillers, d'où le surnom d'Algrange: " Cité aux quatre mines "
Photos diverses d'illustration mises dans le livre...