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Le blog de Roland - Algrange d'hier à aujourd'hui

Polonais brutalisés par la police en 1948, Joseph JURCZAK d'Algrange explique

7 Février 2021, 09:00am

Publié par R.S.

Un récit poignant que j'ai trouvé dans des archives de journaux concernant la brutalité après guerre de certains policiers envers des Polonais implantés en France bien avant la seconde guerre mondiale
Dans le Journal COMBAT du 13 mars 1948 on pouvait lire.
SEPT POLONAIS brutalisés par la police sont ensuite acquittés mais l'on expulse deux d'entre-eux.
Depuis les grèves de novembre 1947, la vieille xénophobie qui sert de pensée politique et de certificat de bonne conscience à quelques-uns de nos compatriotes a retrouvé une belle jeunesse. Et les passions allant le train que l'on sait, il y a fort à parier que l'histoire des sept Polonais dont je dois parler révoltera bien peu de gens.
Le 11 février 1948, des agents de la brigade de la Surveillance du Territoire arrêtaient sept mineurs polonais de la région de Metz, Des hommes de 40 à 60 ans, habitant la France depuis dix ou vingt-cinq ans. Ces agents avaient arrêté un mois auparavant un instructeur du Parti ouvrier polonais WDOWIAK, sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté de l'Etat: on avait trouvé chez lui le plan d'un secteur de mine vieux d'un mois (ces plans de mines n'ont évidemment rien de secret et ils sont remis à jour toutes les semaines). Quatre de ces Polonais sont responsables régionaux ou locaux du Parti ouvrier. L'un est simple adhérent. Les deux derniers occupent dans ce Parti, des fonctions plus importantes. Ce parti est toléré en France? Aucune interdiction n'a jamais été prononcée contre lui.
On perquisitionne à leurs domiciles: on emporte jusqu'aux livres de classe de leurs enfants: on fouille la literie. Ils sont ensuite conduits à Metz dans les bureaux de la D.S.T. Ces sept ouvriers sont accusés d'attentat à la liberté du travail. C'est à dire d'actes qu'ils auraient accomplis il y a quatre mois. Ils subissent un interrogatoire de trois jours et trois nuits dont je donnerai le détail par la suite. On les garde vingt et un jours en prison. Le juge d'instruction prononce enfin un non-lieu. Cinq sont relâchés. Les deux autres sont immédiatement expulsés de France, c'est à dire conduits vers un camp d'Allemagne en attendant leur transfert en Pologne. On est sans nouvelles d'eux. Mais non point sans précisions sur les sévices qu'ils ont subis pendant l'instruction. Mais non point sur le mode légal d'expulsion qui exige la liberté pour l'expulsé de faire appel.
Polonais brutalisés par la police en 1948, Joseph JURCZAK d'Algrange explique
(suite)
Je suis allé voir les cinq mineurs rendus à leur foyer. Voici la déposition de Joseph JURCZAK, ouvrier de fond à Algrange, simple membre du Parti Ouvrier, habitant la France depuis 1937.
" Je suis arrivé le matin à Metz dans la voiture des policiers, qui étaient venus me chercher dans la mine. On ne m'a pas dit pourquoi on m'arrêtait. On m'a interrogé jusqu'à 7 heures du soir. Au bout d'une heure, ils ont commencé à me battre. Chaque fois qu'un inspecteur me donnait une gifle, l'autre disait; " Merci pour lui ", et ils s'amusaient bien. Après ils m'ont mis tout nu; ils m'ont passé les menottes et ils m'ont fait m'agenouiller devant une table. Alors ils m'ont forcé à fixer la lumière d'un réflecteur puissant. Ils ont continué ainsi à me gifler jusqu'à 1 heure du matin environ. Ensuite, ils m'ont dit de me rhabiller. Ils m'ont attaché debout contre une porte puis ils sont partis. C'est un agent qui m'a gardé. Le lendemain ils m'ont encore interrogé. Ils m'ont demandé si j'approuvais le plan Marshall. J'ai bien entendu parler de ce plan là mais je ne sais pas au juste ce que c'est. Enfin ils m'ont donné à manger; un petit bout de pain et de la soupe. A propos, quand je suis parti de prison après 21 jours, ils m'ont fait payer 65 francs par repas. J'ai été arrêté une fois par la Gestapo parce que j'avais donné une croûte à un prisonnier russe d'un convoi. J'ai été mieux traité. J'aime quand même bien la France ". 
Stanislaw NOVACKI a 57 ans. Il habite la France depuis 24 ans. C'est un ouvrier mineur lui aussi. Il est secrétaire du parti pour la région des mines de charbon de la Moselle. Il fut arrêté en même temps que MARTYNSKI, l'un des deux Polonais expulsés. Au cours de l'instruction, il put, quelques minutes, voir son camarade qui lui raconta ceci: " Ils m'ont beaucoup battu, puis ils m'ont bandé les yeux. Alors un des inspecteurs m'a pris par le bras et m'a fait sortir du bureau. On m'avait retiré mes chaussures et j'ai senti sous mes pieds de la terre meuble. Ils m'ont dit de m'agenouiller. Ils m'ont demandé si j'étais catholique et si " je voulais un prêtre ". J'ai refusé. Ils m'ont encore demandé si j'avais une dernière volonté: je voulais fumer encore encore une fois une cigarette. Ils m'ont donné la cigarette. J'ai fumé. J'ai entendu un cliquetis de révolver qu'on arme. Quand j'ai jeté mon mégot, ils m'ont enlevé le bandeau et un inspecteur m'a dit: " Tu vois, on n'est pas des criminels " ....
NOWACKI, était debout devant moi dans la salle à manger très propre. Ses grosses mains de mineur étaient accrochées aux revers de son veston et elles tremblaient. Il m'a dit qu'il avait appris beaucoup de bonnes choses en France et qu'il ne voulait pas s'en aller de ce pays. Il avait bien des détails supplémentaires à raconter. Mais je devais aller voir les autres " criminels " dans la journée et nous nous sommes rapidement quittés.
 
 
Polonais brutalisés par la police en 1948, Joseph JURCZAK d'Algrange explique
Quoi qu'il en soit, est-il admissible que, de nos jours, dans notre pays, des travailleurs étrangers, établis depuis de longues années en France, mariés pères de famille estimés de tous, ayant eu une attitude méritoire sous l'occupation, puissent servir ainsi de victimes à des manœuvres de basse politique?
Emue de cet acte arbitraire, l'Amitié franco-polonaise a envoyé, hier, sur les lieux une commission d'enquête composée du professeur CHEVALIER, de la Faculté de médecine de Paris, de M. STOKARSKY, du pasteur ROSER, de Me COULY, avocat au barreau de Paris, de Mme ROUVRAY, traductrice jurée et de Mme KANFER-ABRANAMER, ainsi que de plusieurs journalistes.
De son côté, le gouvernement polonais a remis avant-hier au Quai d'Orsay une note de protestation contre les tortures infligées à des citoyens polonais arrêtés puis relâchés par les autorités françaises, car il s'agit bien de coups et de sévices graves contre ces travailleurs.
" Ils frappaient et ils riaient " C'est que m'a dit Joseph JURCZAK, 45 ans, père de deux enfants, mineur de son métier, que j'ai pu rencontrer à Algrange, dans son petit logement. Il entrecoupe son récit de gestes et me montre comment il a été maltraité: " Je n'ai pas encore compris pourquoi j'ai été arrêté. Atteinte à la liberté de travail? Mais je suis resté chez moi tout le temps des grèves. Tenez, j'avais été ce jour là au travail, comme d'habitude. On m'a fait remonter et on m'a conduit au bureau de la mine. J'y ai trouvé des messieurs en civil qui m'ont emmené chez moi. Là, on a tout retourné: on a emporté toutes mes lettres et on m'a conduit à la brigade de sécurité du territoire à Metz.
Monsieur, cela fait onze ans que je suis en France; j'ai été arrêté par la Gestapo sous l'occupation, jamais ils ne m'ont tant battu. Après les coups de poings " habituels ", ils m'ont fait mettre complètement nu, à genoux devant un bureau avec la lumière d'un réflecteur dans les yeux. Et je me suis resté là 10 à 15 minutes. Je sentais que je m'évanouissais. Je leur ai dit: " Si vous voulez me battre comme cela, je vous dirai ce que vous voudrez, mais laissez moi tranquille! " Ils se sont mis à rire. Leur joie a continué aussi longtemps qu'ils m'ont tapé. L'un d'eux disait " Merci ". La première nuit, je suis resté enchaîné à ma chaise: la deuxième, ils m'ont attaché debout à la porte......
Polonais brutalisés par la police en 1948, Joseph JURCZAK d'Algrange explique
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M
Bonjour! C'est tellement horrible et inhumain.... les pauvres, ils ont bien cru mourir.... Est-ce qu'en 2021 cette barbarie n'existe plus? je ne peux pas en jurer..... Bonne semaine à tous et merci pour cet article pour que personne n'oublie....
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